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parcouru cent cinquante mètres, les fugitifs découvrirent, en effet, une porte à double battant, paraissant faite de lames de fer aussi rigides et aussi épaisses que des plaques de cuirasse. Comment ouvrir cette porte qui ne possédait aucune serrure extérieure ? Comment l’ébranler ? Comment même attirer l’attention des habitants, sans attirer en même temps celle des autres sentinelles qui, selon toute vraisemblance, montaient la garde aux environs ?

À côté de cette porte cochère, à quelques pas en aval, il en existait une autre, de construction identique, mais beaucoup plus petite et ne comportant qu’un seul battant, que traversait le canon d’une serrure. En l’absence de clé, voire de tout instrument pouvant servir à la crocheter, cette particularité n’avançait pas à grand-chose.

Après de longues hésitations, les fugitifs allaient se résoudre à heurter cette porte avec leurs poings, et, au besoin, avec leurs pieds, quand une ombre, venant de l’esplanade, apparut en amont. Indécise au milieu de ces torrents de pluie, l’ombre se dirigeait de leur côté. Or, le quai n’ayant d’autre issue que le chemin de ronde, qui, après avoir fait le tour de l’Usine, revenait à l’esplanade d’où arrivait le promeneur nocturne, il y avait chance que la destination de celui-ci fût l’une des deux portes ouvrant sur ce quai.

Les fugitifs, à qui le temps manquait pour reculer, s’effacèrent de leur mieux dans l’embrasure de la porte cochère, se tenant prêts à bondir sur l’intrus au moment opportun.

Mais celui-ci s’avançait avec tant d’insouciance, il passa devant eux, à les toucher, en faisant montre d’une si parfaite ignorance de leur présence, qu’ils renoncèrent à un acte de violence dont la nécessité n’était rien moins que démontrée. Enhardis par l’extraordinaire aveuglement du promeneur, ils lui emboîtèrent le pas à tour de rôle, au fur et à mesure qu’il dépassait chacun d’eux, si bien que lorsque celui-ci s’arrêta, comme on l’avait prévu, devant la plus petite des deux portes, et qu’il introduisit la clé dans la serrure, il avait derrière lui, rangés en demi-cercle, huit spectateurs attentifs, dont il ne soupçonnait pas l’existence.

La porte s’ouvrit. Bousculant sans scrupule celui qui l’avait ouverte, les fugitifs se ruèrent à sa suite, et le dernier d’entre eux repoussa le battant, qui se referma en faisant un bruit sourd.

Ils se trouvèrent alors dans une obscurité profonde, d’où s’élevait une voix douce, qui prononçait, sur un ton exprimant quelque surprise, des exclamations dont la modération ne laissait pas d’être assez surprenante.

— Eh bien ! disait cette voix. Qu’est-ce que cela signifie ?… Que me veut-on ?… Qu’y a-t— il ?…

Tout à coup brilla une faible lumière, qui parut éclatante dans ces épaisses ténèbres. Jane Buxton avait eu l’idée de faire jouer la lampe électrique de poche qui lui avait déjà rendu un service signalé à Kokoro. Dans le cône de lumière, apparurent à la fois Tongané et, en face de lui, un homme fluet, aux cheveux d’un blond pâle, aux vêtements ruisselants d’eau, qui, un peu essoufflé, s’appuyait à la muraille.

En s’apercevant mutuellement, Tongané et l’homme blanc poussèrent simultanément, mais sur un mode fort différent, une exclamation analogue.

— Le sergent Tongané ! dit le second, avec la même voix douce et le même accent de surprise modérée.

— Mossié Camaret ! s’écria le nègre en roulant des yeux effarés.

Camaret !… Jane Buxton tressaillit, en entendant ce nom, qu’elle connaissait bien, ce nom d’un ancien compagnon de son frère.

Cependant, Amédée Florence jugea oppor-