Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/173

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— Tongané faisait partie de cette expédition en qualité de sergent, continuait cependant Camaret, et c’est pourquoi je l’ai reconnu tout à l’heure, bien qu’il se soit écoulé, depuis lors, pas mal d’années. En ce qui me concerne, j’avais été engagé à titre d’ingénieur, avec mission d’étudier l’orographie, l’hydrographie et surtout la minéralogie des régions traversées. Partis d’Acera, dans la colonie des Achantis, nous nous dirigions vers le nord depuis déjà deux mois, quand, un beau jour, Harry Killer arriva parmi nous. Bien accueilli par notre chef, il fut incorporé à notre colonne et ne la quitta plus.

— N’est-il pas exact, même, demande Jane, qu’il se substitua peu à peu au capitaine Buxton qu’on cessa bientôt d’apercevoir ?

Camaret se tourna du côté de la jeune fille.

— Je ne pourrais vous dire… lui répondit-il avec hésitation, sans manifester, d’ailleurs, aucun étonnement de la question. Fort occupé par mes études, je n’ai pu, vous le comprendrez, remarquer ces détails, et je ne voyais guère plus Harry Killer que George Buxton. Quoi qu’il en soit, en revenant, un jour, d’une excursion personnelle de quarante-huit heures, je n’ai plus trouvé la colonne au campement où je l’avais laissée. Il n’y avait plus rien, ni hommes, ni matériel. Fort ennuyé, cela se conçoit, je me demandais dans quelle direction je devais aller, quand je fus abordé par Harry Killer. Il me dit que le capitaine Buxton était retourné à la côte, en emmenant la majeure partie du personnel, et qu’il était chargé de terminer, avec une quinzaine d’hommes et moi, l’itinéraire de l’expédition. Que m’importait, à moi, Harry Killer ou le capitaine Buxton, que d’ailleurs, je n’aurais su où rejoindre ? Je suivis donc Harry Killer sans difficulté. Celui-ci avait eu vent de quelques inventions assez intéressantes que je portais en moi, à ce moment. Il me conduisit ici et me proposa de les réaliser. J’acceptai. Telle est l’origine de mes rapports avec Harry Killer.

— Vous me permettrez, monsieur Camaret, de compléter vos renseignements et de vous apprendre ce que vous paraissez ignorer, dit Jane Buxton d’une voix grave. Du jour où Harry Killer fit partie de l’expédition du capitaine Buxton, la colonne que celui-ci commandait devint une troupe de bandits. Des villages furent incendiés par elle, des hommes massacrés en grand nombre, des femmes éventrées, des enfants coupés en morceaux.

— Impossible !… protesta Camaret. J’étais là, que diable ! et je n’ai rien vu de tout cela.

— Comme vous ne nous avez pas vus tout à l’heure en passant devant nous, comme vous avez ignoré, pendant dix ans, les actes d’Harry Killer. Hélas ! les événements que je vous révèle ne sont pas contestables. Ce sont malheureusement des faits historiques connus du monde entier.