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bitude, les services généraux de Blackland. Cet accord, d’ailleurs, ne modifiait en rien le surplus de la situation, qui ne laissait pas d’être fort singulière. La paix était limitée au contrat intervenu. Pour le reste, c’était toujours la guerre. Harry Killer persistait notamment à réclamer les prisonniers, et Marcel Camaret à refuser de les livrer.

À la fin de la conversation, Harry Killer avait demandé à l’ingénieur de lui fournir l’air liquide nécessaire à la marche des planeurs. Chaque fois que ceux-ci revenaient de voyage, leurs réservoirs étaient, en effet, déposés à l’Usine, qui les remplissait à nouveau. Harry Killer n’en possédait donc pas une goutte, ce qui rendait inutilisables ses quarante machines volantes.

Sur ce point, Marcel Camaret, soucieux, et de ménager sa réserve de force motrice, et de ne pas fournir à l’ennemi des armes aussi puissantes, avait refusé net. De là, violente colère du despote, qui avait juré de le réduire par la famine. C’est alors que l’ingénieur avait raccroché le téléphone, en riant de cette menace aussi vaine à ses yeux que les précédentes.

Ses auditeurs la prirent, au contraire, fort au sérieux. Si l’Usine paraissait réellement inexpugnable, en raison des armes défensives imaginées par Camaret, celui-ci semblait beaucoup moins riche en armes offensives, et encore ne voulait-il à aucun prix se servir de celles qu’il possédait. Dans ces conditions, la situation pouvait se prolonger indéfiniment, et, dès lors, un jour viendrait où la faim obligerait l’Usine à capituler.

Camaret, à qui Barsac soumit cette réflexion, haussa les épaules.

— Nous avons des vivres pour longtemps, assura-t-il.

— Pour combien de temps ? insista Barsac.

Camaret eut un geste évasif.

— Je ne sais pas exactement. Quinze jours, peut-être trois semaines. Cela n’a aucune importance, puisque, dans quarante-huit heures, nous aurons terminé un planeur que nous avons en construction. Dès à présent, je vous invite aux essais, que nous ferons de nuit, afin de ne pas être aperçus du Palais, et qui auront lieu après-demain, 12 avril, à quatre heures du matin.

C’était là une heureuse nouvelle, à laquelle les prisonniers étaient loin de s’attendre. La possession de ce planeur améliorait certainement leur situation dans une large mesure. Apporterait-il, cependant, le salut ?

— Il y a plus de cent personnes dans l’Usine, fit remarquer Barsac. Si puissant soit-il, votre planeur ne pourra emmener tout le monde.

— Il portera seulement dix personnes, répondit Camaret, non compris le conducteur, ce qui n’est déjà pas mal.

— Certes ! approuva Barsac, et pourtant c’est encore insuffisant pour nous tirer d’affaire.

— Nullement, répliqua Camaret. D’ici Saye, il y a environ trois cent cinquante kilomètres à vol d’oiseau, et sept cents d’ici Tombouctou, qui serait peut-être préférable. Comme on ne voyagerait que pendant la nuit, afin d’éviter les torpilles, le planeur pourrait faire, en vingt-quatre heures, trois voyages à Saye ou deux à Tombouctou. Les cent cinquante personnes auxquelles j’évalue approximativement la population de l’Usine, femmes et enfants compris, seraient donc délivrées en cinq jours dans le premier cas, et en moins de huit, dans le second.

L’énoncé de ce plan, très réalisable, en effet, atténua les craintes que les menaces d’Harry Killer avaient fait naître, et l’on attendit impatiemment de pouvoir le mettre à exécution.

Les deux jours qu’il leur fallait attendre parurent interminables aux assiégés. Ils