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— Comment passera-t-il ? Vous savez bien que l’Usine est investie. Qu’il se montre, et il sera accueilli par une grêle de balles.

— Aussi ne s’en irait-il pas par la porte, répondit Florence. Cela d’ailleurs ne l’avancerait à rien, puisque, en face de l’Usine, ce sont les quartiers des Blancs. Or, c’est celui des Noirs qu’il lui faut atteindre. Pour cela, le seul moyen est d’agir comme il l’a déjà fait, c’est-à-dire de gagner la campagne pendant la nuit, de se mêler à la foule des Noirs, et d’entrer dans la ville confondu avec eux.

— Il passerait donc, alors, par-dessus le chemin de ronde et par-dessus l’enceinte ? objecta Barsac.

— Ou par-dessous, répliqua Florence, qui se tourna du côté de Marcel Camaret.

Celui-ci, absorbé dans ses pensées, était resté étranger à la discussion, qu’il semblait même n’avoir pas entendue.

— Monsieur Camaret, lui demanda Florence, serait-il possible de percer, sous les murailles de l’Usine et de la ville, un tunnel qui traversait le chemin de ronde et aboutirait dans la campagne ?

— Sans aucun doute, affirma Camaret en relevant la tête.

— Combien de temps ? demanderait ce travail.

Camaret réfléchit un instant.

— Par les procédés ordinaires, il faudrait boiser, et ce serait assez long, dit-il enfin. Mais le temps serait fort abrégé par une machine que je viens d’imaginer et qui donnerait de bons résultats dans ce sol sablonneux. Pour tracer cette machine, la construire et exécuter le tunnel, quinze jours seraient nécessaires et suffisant.

— Vous pourriez donc avoir terminé pour la fin du mois ?

— Assurément, affirma Camaret.

Du moment qu’on lui proposait des problèmes à résoudre, il se retrouvait dans son élément. Son cerveau s’excitait peu à peu. Il renaissait à vue d’oeil.

— Second point, monsieur Camaret, reprit Florence : ce tunnel exigerait-il le concours de tout votre personnel ?

— Il s’en faudrait de beaucoup, répondit Camaret.

— Ceux qui ne seraient pas occupés par ce travail arriveraient-ils à fabriquer trois ou quatre mille armes dans le même délai ?

— Quelles armes ? Pas des armes à feu, en tout cas.

— Des piques, des couteaux, des haches, des massues, tous les instruments perçants, coupants et contondants qui vous plairaient.

— Dans ce cas, oui, dit Camaret.

— Et ces armes, pourriez-vous les faire parvenir à jour fixe, et sans être aperçu, ni entendu des gens d’Harry Killer, aux Noirs du quartier des esclaves ?

— C’est plus difficile, dit paisiblement Camaret.

Il garda le silence quelques instants, puis il répondit de sa voix douce :

— Oui, je le pourrais, à la condition que la nuit soit obscure.

Amédée Florence poussa un soupir de soulagement.

— Alors, nous sommes sauvés ! s’écria-t-il. Vous comprenez, monsieur Camaret, Tongané filera par le tunnel, attendra dans la campagne l’arrivée des travailleurs noirs auxquels il se mêlera, et, le soir, il rentrera avec eux. Pendant la nuit, il préparera la révolte. Tous ces gens-là sont horriblement malheureux et ne demanderaient qu’à secouer le joug, s’ils avaient des armes. Du moment que nous leur en fournirons, ils n’hésiteront plus. Il faudrait vous mettre au travail tout de suite, monsieur Camaret.