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et reconnut sans hésiter le misérable prisonnier.

Si incroyable, si merveilleux que fût le prodige qui lui faisait reconnaître au fond d’un cachot de Blackland celui qu’elle avait six mois plus tôt laissé en Angleterre occupé à de paisibles travaux, cette épave humaine, cet être martyrisé, c’était Lewis Robert Buxton, c’était son frère.

Haletante, les yeux exorbités, en proie à une sorte de mystérieuse épouvante, Jane demeura un instant sans mouvement et sans voix.

— Lewis !… s’écria-t-elle enfin, en se précipitant vers son malheureux frère, qui balbutiait d’un air égaré :

— Jane !… Vous ici !… Ici !…

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, et longtemps, agités tous deux de sanglots convulsifs, ils mêlèrent leurs larmes, sans trouver une parole à dire.

— Jane, murmura enfin Lewis, comment peut-il se faire que vous soyez venue à mon secours ?

— Je vous le dirai, répondit Jane. Parlons de vous, plutôt. Expliquez-moi…

— Que voulez-vous que je vous dise ? s’écria Lewis avec un geste de désespoir. Je n’y comprends rien moi-même. Il y a cinq mois, le 30 novembre dernier, dans mon bureau, j’ai reçu sur la nuque un coup violent qui m’a assommé.

Quand j’ai repris connaissance, j’étais bâillonné, ligoté et enfermé dans une caisse. Comme un colis, j’ai été transporté de vingt façons différentes. Dans quel pays suis-je ? Je l’ignore. Depuis plus de quatre mois, je n’ai pas quitté ce cachot, où, chaque jour, on me déchire la chair avec des tenailles, ou bien ce sont des coups de fouet…

— Oh !… Lewis !… Lewis !… gémit Jane, qui sanglotait. Mais quel est donc le bourreau ?…

— C’est bien là le pire, répondit tristement Lewis. Vous ne le devineriez jamais, celui qui se livre à ces atrocités, c’est…

Lewis s’interrompit brusquement. Son bras étendu désignait quelque chose dans le couloir, et ses yeux, tout son visage, exprimaient une affreuse épouvante.

Jane regarda dans la direction que lui montrait son frère. Elle pâlit, et sa main, glissée sous les basques de son corsage, alla saisir l’arme trouvée dans la tombe de Koubo. L’oeil sanglant, sa bouche, d’où coulait un filet de bave, crispée en un rictus de fauve féroce, terrifiant, hideux, Harry Killer était là.


XII

harry killer


— Harry Killer ! s’écria Jane.

— Harry Killer ?… répéta sur un ton interrogatif Lewis Buxton, qui regarda sa sœur avec étonnement.

— Lui-même, gronda Killer d’une voix rauque.

Il fit un pas en avant, et, s’arrêtant dans l’embrasure de la porte, que sa stature athlétique obstruait tout entière, il s’appuya contre le chambranle, en vue d’affermir son équilibre fortement compromis par les libations de la soirée.

— C’est ça que vous appelez vous rendre ?… bégaya-t-il avec une colère concentrée. Eh ! eh ! Mademoiselle a des rendez-vous à l’insu de son futur mari !…

— Son mari ?… répéta Lewis, qui parut surpris plus encore.

— Pensez-vous donc que je sois si commode ?… ajouta Harry Killer, qui entra dans le cachot en tendant vers Jane ses énormes mains velues.

Mais celle-ci brandit l’arme retirée de sa ceinture.

— N’approchez pas !… s’écria-t-elle.

— Oh ! oh !… fit ironiquement Harry Killer. La guêpe a son aiguillon.