Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/226

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feu de ses projecteurs, elle lui en exposa le rôle, et lui nomma ses compagnons, qui tous, sauf un nègre nommé Tongané, y étaient encore réfugiés. Quant à Tongané, c’est lui qui avait entrepris de soulever la population noire de Blackland, et le spectacle qu’on avait sous les yeux prouvait qu’il y avait réussi. Mais elle n’avait pas eu la patience d’attendre, et elle s’était enfuie seule, ce soir même, dans l’espoir de sauver les autres assiégés. C’est ainsi qu’elle était arrivée jusqu’à son malheureux frère. Pendant ce temps, Tongané donnait évidemment le signal attendu, on lui envoyait des armes, et maintenant la révolte était déchaînée. C’est vers la bataille, à laquelle ils assistaient du haut de la terrasse, que voulaient sans doute s’élancer William Ferney et ses compagnons, quand elle leur avait brusquement barré le passage.

— Et maintenant, qu’allons-nous faire ? demanda Lewis.

— Attendre, répondit Jane. Les esclaves ne nous connaissent pas, et ils ne feraient, dans la bagarre, aucune différence entre nous et les autres. Au surplus, nous leur serions d’un bien faible secours, puisque nous n’avons pas d’armes.

Lewis ayant fait justement remarquer qu’il pourrait être utile d’en posséder, Jane procéda à une nouvelle visite du Palais. Sa récolte ne fut pas abondante. Toutes les armes, sauf celles que leurs propriétaires avaient sur eux, étant centralisées dans la tour élevée au-dessus de la terrasse, elle ne trouva qu’un seul fusil et deux revolvers avec un petit nombre de cartouches.

Quand elle revint, munie de son butin, la situation avait bien changé. Les nègres s’étaient ouvert un passage et avaient envahi l’Esplanade, sur laquelle ils grouillaient au nombre de plus de trois mille. En un instant, ils eurent pris d’assaut, tant la caserne de la Garde noire, dont tous les hommes furent massacrés séance tenante, que la remise des quarante planeurs, d’où des gerbes de flammes ne tardèrent pas à jaillir. Ivres de saccage et de sang, en démence, ils se vengeaient en une fois de leurs longues souffrances, et, de toute évidence, leur fureur ne serait satisfaite que par la destruction totale de la ville et par le massacre du dernier de ses habitants.

William Ferney devait, en contemplant ce spectacle, écumer de rage impuissante. On l’entendait hurler, vociférer, sans comprendre les mots qu’il prononçait. Sur la terrasse, crépitait une incessante fusillade, et les balles, frappant dans la foule grouillante des nègres, y faisaient de nombreuses victimes.

Mais les autres ne semblaient pas s’en apercevoir. Après la caserne de la Garde noire et la remise des planeurs, dont les flammes éclairaient l’Esplanade comme une torche gigantesque, ils s’étaient attaqués au Palais lui-même, et, avec tout ce qui leur tombait sous la main, ils s’efforçaient, d’ailleurs inutilement, d’en ébranler la porte.