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Mais ce n’est plus à des nègres qu’ils avaient affaire. Armés de ce qu’ils avaient trouvé sous la main, celui-ci d’un marteau de forge, cet autre d’une pince, cet autre encore d’une simple barre de fer, les gens de l’Usine se ruèrent en avant, eux aussi. La lutte fut terrible. D’assourdissantes clameurs déchiraient l’air. Des ruisseaux de sang rougissaient le sol de l’Esplanade, déjà pleine des morts de la nuit.

Se voilant les yeux des deux mains, Jane Buxton s’efforçait de ne pas voir cet affreux spectacle. Parmi les combattants, que d’amis elle comptait ! Elle tremblait pour Barsac, pour Amédée Florence, pour l’excellent docteur Châtonnay, pour Saint-Bérain surtout, qu’elle chérissait tendrement.

Mais des hurlements plus violents éclatèrent tout à coup.

Le nombre et l’armement supérieur triomphaient. La colonne sortie de l’Usine était coupée en deux. Une de ses moitiés reculait vers le quai, défendant le terrain pied à pied, tandis que l’autre était refoulée dans la direction du Palais.

Celle-ci, tout au moins, ne devait conserver aucun espoir de salut. Arrêtée par la muraille, non seulement elle avait les Merry Fellows en face d’elle, mais encore, du haut de la terrasse, William Ferney et ses compagnons fusillaient sans risque ces malheureux auxquels la fuite même était interdite.

Un cri de joie jaillit soudain de leurs poitrines. La porte à laquelle ils étaient acculés venait de s’ouvrir toute grande derrière eux, et, sur le seuil, Jane Buxton leur était apparue. Serrés de près par leurs ennemis, ils se réfugièrent dans le Palais, tandis que Jane et Lewis déchargeaient fusils et revolvers afin de protéger leur retraite.

Stupéfaits de cette intervention à laquelle ils ne pouvaient rien comprendre, les Merry Fellows avaient hésité un instant. Quand, revenus de leur surprise, ils s’élancèrent à l’assaut, il était trop tard. La porte était refermée et bravait de nouveau leurs efforts.


XIV

la fin de blackland


Lorsque la porte eut été solidement refermée, il fallut tout d’abord s’occuper des blessés, qui étaient assez nombreux. Aidée d’Amédée Florence atteint lui-même d’une blessure, d’ailleurs très légère, et entraîné, avec Barsac, parmi ceux qu’un sort ironique obligeait à chercher refuge précisément chez leur plus implacable ennemi, Jane Buxton leur prodigua ses soins.

Les pansements terminés, un autre souci s’imposa à la jeune fille, celui de nourrir ces malheureux qui, depuis plusieurs jours déjà, souffraient cruellement de la faim. Mais pourrait-elle y réussir, et le Palais contiendrait-il assez de provisions pour tant de bouches ?

La quantité de vivres qu’elle y découvrit, après en avoir soigneusement visité tous les étages, assura tout au plus un médiocre repas. La situation restait donc des plus gra-