Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/238

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À ce bruit assourdissant, succéda un profond silence. Terrifiés, les spectateurs de la catastrophe regardaient encore quand il n’y avait plus rien à voir, et ils écoutaient quand il n’y avait plus rien à entendre.

Tout était terminé maintenant. Blackland, détruite de fond en comble par celui-là même qui l’avait créée, n’était plus que ruines et décombres. De l’œuvre admirable mais néfaste de Marcel Camaret, il ne subsistait rien.


XV

conclusion


Ainsi périrent Marcel Camaret et William Ferney, alias Harry Killer. Ainsi périrent également cette étonnante ville de Blackland, qui avait pu naître à l’insu de tous, et les merveilleuses inventions qu’elle contenait.

De l’une et des autres, il ne restait qu’un monceau de ruines, qui ne tarderait pas à disparaître sous un linceul de sable. Les nuages allaient cesser de déverser la pluie bienfaisante, la Red River serait tarie et redeviendrait un oued aride que n’humecterait plus la moindre goutte d’eau, les champs se dessécheraient, et le désert, reprenant son empire, monterait à l’assaut de cette création des hommes dont bientôt la dernière trace serait effacée.

Par la volonté de son auteur, l’œuvre de

Camaret était morte tout entière, et rien ne transmettrait aux âges futurs le nom de l’inventeur génial et dément.

Le capitaine Marcenay abrégea autant que cela fut en son pouvoir son séjour dans ces lieux désolés. Plus d’un mois s’écoula, cependant avant qu’on pût s’engager sur la route du retour. Il fallut inhumer les cadavres au nombre de plusieurs centaines, panser les blessés, attendre que ceux-ci fussent en état de supporter le voyage, et aussi laisser le temps de reprendre des forces à ceux qu’on venait de délivrer, à la dernière minute on peut le dire.

Beaucoup, parmi l’ancien personnel de l’Usine, ne reverraient pas leur patrie. Une vingtaine d’ouvriers, trois femmes et deux enfants étaient morts, tombés sous les coups des Merry Fellows. Mais le sort avait protégé les membres officiels et officieux de la mission Barsac. Sauf Amédée Florence, atteint d’une blessure insignifiante, ils étaient tous indemnes, jusqu’à Tongané et à Malik, qui avaient repris le cours de leur idylle, laquelle consistait à se donner réciproquement de bonnes bourrades en riant de toutes leurs dents.

Pendant que ceux qu’il avait sauvés se remettaient de leurs épreuves, pendant que les blessures se cicatrisaient, le capitaine Marcenay fit la chasse à la population dispersée de Blackland. À ceux des Blancs qui résistèrent, une balle eut bientôt fait entendre raison. On entrava les autres, sur le sort desquels il serait statué ultérieurement. Quant aux anciens esclaves, on parvint à les rassurer et à les réunir peu à peu. Ramenés au Niger, ils se disperseraient à leur gré, et chacun regagnerait son village et sa famille.

Ce fut seulement le 10 juin que put s’ébranler la colonne, d’ailleurs bien pourvue de vivres trouvés en abondance dans les ruines de la ville et dans la campagne environnante. Quelques blessés, les plus grièvement touchés, n’étaient pas encore en état de marcher et durent être transportés sur des brancards. Mais il était grand temps de se mettre en route. On entrait dans la saison des pluies, qui, au Soudan, s’appelle l’hivernage, bien qu’elle coïncide avec l’été astronomique. Pour l’une et pour l’autre raison, le train allait donc être assez lent.