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celle même de Jane Buxton, et, comme celle de Jane Buxton est intimement unie à ce qui concerne son frère Lewis et le capitaine Marcenay, le sort de ces quatre personnes peut être indiqué en même temps.

Ainsi qu’on peut le supposer, le capitaine Marcenay, ayant, dès son retour à Tombouctou, demandé au colonel Allègre un congé, qui fut, cette fois, accordé sans difficulté, accompagna Jane Buxton, Lewis et Saint-Bérain en

Angleterre.

Pendant le mois passé sur les ruines de Blackland, il avait eu tout le loisir de raconter à celle qui était désormais sa fiancée par quel merveilleux prodige la dépêche de Marcel Camaret était arrivée à son adresse à travers l’impondérable éther, sa démarche aussitôt faite auprès du colonel Allègre, et quelles avaient été ses angoisses en se heurtant au refus catégorique de celui-ci. Heureusement, dès le lendemain, on avait eu la réponse du colonel Saint-Auban. Non seulement le colonel déclarait faux l’ordre remis par le soi-disant lieutenant Lacour, mais encore il prescrivait de se porter immédiatement au secours de M. le député Barsac, sur le sort duquel il y avait lieu de concevoir des inquiétudes légitimes. L’expédition avait été aussitôt organisée, et, en descendant d’abord le Niger jusqu’à Gao, en traversant ensuite le désert, le capitaine Marcenay, amenant, au prix d’énormes difficultés, un canon de campagne avec lui, avait gagné Blackland à marches forcées.

À peine débarquée en Angleterre, Jane

Buxton, accompagnée de son frère, du capitaine Marcenay et de Saint-Bérain, se rendit par les voies les plus rapides au château de Glenor, où une dépêche l’avait précédée. Près d’un an s’était alors écoulé, depuis qu’elle l’avait quitté. Elle y revenait ayant réussi dans son entreprise, l’honneur de sa famille restauré par elle ad integrum.

Comment allait-elle trouver son père ? Le vieillard, alors âgé de quatre-vingt-quatre ans, avait-il eu la force de supporter l’absence de sa fille, et de résister à la honte nouvelle que le pillage de l’agence de la Central Bank avait nécessairement fait rejaillir sur son second fils ? Certes, les journaux, après avoir fait le mal, s’étaient efforcés de le réparer. Par les soins d’Amédée Florence, dès que celui-ci avait eu la possibilité de communiquer avec l’Europe, ils avaient proclamé urbi et orbi l’innocence de George et de Lewis Buxton. Mais lord Glenor avait-il lu ces journaux, et ce grand bonheur ne venait-il pas trop tard ? Jane Buxton n’ignorait pas dans quel état était son père depuis le drame de la Central Bank. Quel que fût son chagrin, sa hâte de le revoir n’en était que plus grande.

Elle arriva enfin, et put s’agenouiller au chevet du vieillard condamné à l’immobilité définitive. Les yeux de celui-ci, toutefois, brillants d’intelligence, montraient que la lucidité du cerveau était intacte.

Jane Buxton, entourée de Lewis, de Saint-Bérain et du capitaine Marcenay, dont elle expliqua le rôle, fit à son père le récit complet de son voyage. Elle nomma ceux dont elle possédait le témoignage, et montra le procès-verbal rédigé au bord de la tombe de Koubo. Elle révéla ce que les journaux avaient tu jusqu’alors, la haine que le misérable William Ferney avait vouée à la famille Buxton et par quels procédés il l’avait si affreusement satisfaite.

Tout se tenait. Lord Glenor ne pouvait conserver aucun doute. Si l’un de ses fils était mort, l’honneur de tous deux était sauf.

Le vieillard, les yeux fixés sur sa fille, avait écouté attentivement. Quand elle eut terminé, un peu de sang rougit son visage, ses lèvres tremblèrent, un frémissement le parcourut de la tête aux pieds. Visiblement, sa volonté luttait contre le poids des chaî-