Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/241

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nes dont son corps épuisé subissait l’implacable étreinte.

Ceux qui assistaient à ce combat tragique eurent tout à coup une indicible émotion. La volonté, plus forte, triomphait. Pour la première fois, depuis tant de mois, lord Glenor faisait un mouvement. Il parlait !

Son visage transfiguré se tourna vers Jane, et, tandis que sa main tremblante allait chercher celle de la courageuse fille qui s’était dévouée pour lui, sa bouche murmura :

— Merci !

Puis, comme s’il eût perdu, à partir de cet instant, toute raison de vivre, il poussa un profond soupir, ferma les yeux et cessa de respirer.

On se précipita vainement à son secours. Lord Buxton Glenor était entré dans la paix éternelle comme on glisse au sommeil du soir. Il était mort, doucement, comme on s’endort.

Ici se termine cette histoire.

De tous ses personnages, on connaît maintenant le sort : Barsac, futur ministre ; M. Poncin, ivre de statistique ; le docteur Châtonnay, retourné à ses malades ; Saint-Bérain, heureux près de sa tante-nièce, et celle-ci heureuse femme du capitaine Marcenay ; Lewis Buxton, arrivé au sommet de la Central Bank ; Malik et Tongané enfin, mère et père d’une flatteuse progéniture.

Quant à moi…

Allons bon !… Voilà que je vends la mèche avant l’heure !… Disons donc : quant à Amédée Florence, il reprit ses fonctions à l’Expansion française, où il publia le récit de ses aventures, que son directeur estima valoir trente centimes la ligne. Afin d’augmenter sa pécune, le reporter, qui n’est pas riche, eut l’idée de tirer deux moutures d’un seul sac, et, sur le même sujet, tenta de faire un roman.

Un roman, dites-vous ?… Quel roman ?…

Eh ! mais, celui-ci même, amis lecteurs, celui que vous venez de lire d’un bout à l’autre, puisque vous en arrivez à ces lignes.

En profond psychologue, Amédée Florence a judicieusement pensé que, s’il racontait tout bonnement des faits véritables, on bâillerait à se décrocher la mâchoire, tandis que ces mêmes faits, racontés sous le voile de la fiction, auraient chance de distraire un instant le lecteur. Le monde est ainsi fait. L’Histoire, avec un grand H, nous assomme. Les histoires seules nous amusent… quelquefois ! Que voulez-vous, on n’est pas sérieux en France !

Ces aventures étant authentiques, malheureusement pour lui, Amédée Florence, dissimulant sa personnalité avec une adresse à laquelle il rend tout le premier un public hommage, les a donc « camouflées » en roman, dont il espère bien vendre un nombre respectable d’éditions. Cette façon de passer d’un article de journal à des notes écrites au jour le jour, puis à un récit de forme impersonnelle, cette malice de « blaguer » son style un peu audacieux et d’aller jusqu’à se traiter de brave et spirituel garçon, ces petits coups de patte, ces petits coups d’encensoir, autant de ficelles, de « trucs », de procédés, d’artifices littéraires, pour mieux cacher le véritable auteur.

Mais voici que celui-ci est parvenu à la fin de sa tâche. Bon ou mauvais, amusant ou ennuyeux, le livre est là, maintenant. Sans inconvénients ni dangers, l’incognito peut donc être dévoilé, l’histoire peut être proclamée véritable, et celui qui la rédigea, votre très humble et respectueux serviteur, peut la signer de son nom : Amédée Florence, reporter à l’Expansion française, avant d’écrire le grand mot, le mot sublime, le roi des mots, le mot :

FIN