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— De George ?… répéta-t-il un peu troublé. De quel George ?

— De mon frère George, précisa Jane avec calme.

Agénor était devenu tout pâle.

— Mais tu sais bien, objecta-t-il d’une voix tremblante, que ce sujet est interdit, que ce nom-là ne doit pas être prononcé ici.

Jane rejeta l’objection d’un mouvement de tête.

— Il n’importe, dit-elle tranquillement. Parlez-moi de George, mon oncle.

— Et que veux-tu que je t’en dise ?

— Tout. L’histoire entière. Tout.

— Jamais de la vie !

Jane fronça les sourcils.

— Mon neveu !… fit-elle d’un ton menaçant.

Il n’en fallut pas davantage.

— Voilà !… Voilà !… balbutia Agénor, qui se mit à raconter la triste histoire qui lui était demandée.

Il la raconta d’un bout à l’autre, sans rien omettre. Jane l’écouta en silence, et, quand il eut terminé, elle ne posa pas d’autres questions. Agénor crut en avoir fini, et poussa un soupir de soulagement.

Il se trompait. Quelques jours plus tard, Jane revint à la charge.

— Mon oncle ?… interpella-t-elle de nouveau.

— Ma chérie ?… répondit derechef Agénor.

— Si George, pourtant, n’était pas coupable ?…

Agénor crut avoir mal entendu.

— Pas coupable !… répéta-t-il. Hélas ! ma pauvre enfant, il n’y a aucun doute. La trahison et la mort du malheureux George sont des faits historiques, dont les preuves abondent.

— Lesquelles ? interrogea Jane.

Agénor recommença son récit. Il cita les articles des journaux, les rapports officiels contre lesquels nul n’avait protesté. Il invoqua enfin l’absence du coupable, ce qui était une forte preuve de la réalité de sa mort.

— De sa mort, soit, objecta Jane, mais de sa trahison ?

— L’une est la conséquence de l’autre, répondit Agénor confondu par tant d’obstination.

L’obstination de la jeune fille était encore plus grande qu’il ne le supposait. Fréquemment, à compter de ce jour, elle revint sur ce pénible sujet, harcelant Agénor de questions renaissantes, desquelles il était facile de conclure qu’elle conservait sa foi intacte dans l’innocence de son frère.

Sur ce point, toutefois, Agénor était irréductible. En réponse aux meilleurs arguments, il se contentait de hocher la tête avec mélancolie, en homme qui veut éviter une discussion inutile, mais Jane sentait bien que son opinion n’était pas ébranlée.

Il en fut ainsi jusqu’au jour où elle se décida à faire acte d’autorité.

— Mon oncle ?… dit-elle encore, ce jour-là.

— Ma chérie ?… répondit comme de coutume

Agénor.

— J’ai beaucoup réfléchi, mon oncle, et mon avis est décidément que George est innocent du crime affreux dont on l’accuse.

— Pourtant, ma chérie… commença Agénor.

— Il n’y a pas de pourtant, trancha Jane péremptoirement. George est innocent, mon oncle.

— Cependant…

Jane se redressa, les narines frémissantes.

— Je vous dis, mon neveu, prononça-t-elle d’un ton sec, que mon frère George est innocent.

Agénor s’effondra.

— Il l’est, ma tante, reconnut-il humblement.