Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/30

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ne pouvait naître dans son cerveau ! Si vous savez, dites-le donc !

— Je le dis, ma tante, je le dis.

— Ce n’est pas malheureux !… Quant à ceux qui ont inventé cette légende de toutes pièces, ce sont des misérables !…

— Des bandits !…

— Qu’on devrait envoyer au bagne !

— Ou pendre !…

— Avec les journalistes qui ont répandu ces nouvelles mensongères, et ont ainsi causé notre désespoir et notre honte !

— Oui, tous les journalistes !… Qu’on les pende !… Qu’on les fusille !…

— Vous êtes donc enfin convaincu ?

— Absolument !

— D’ailleurs, je voudrais bien voir que vous fussiez d’un autre avis que le mien sur ce sujet !

— Je n’aurais garde…

— À la bonne heure !… Sans quoi, vous me connaissez, je vous chasserais de ma présence et ne vous reverrais de ma vie.

— Le ciel m’en préserve ! s’écria le pauvre Agénor, tout à fait ému par une aussi terrible menace.

Jane fit une pause et regarda sa victime du coin de l’œil. Sans doute, elle la jugea à point, car elle mit une sourdine à sa violence moins sincère que calculée, et reprit d’un ton plus doux :

— Il ne suffit pas que, vous et moi, nous soyons convaincus de l’innocence de George. Il faudrait pouvoir en donner la preuve, vous en conviendrez, mon cher oncle.

À cette appellation, le visage d’Agénor s’éclaira. L’orage était passé décidément.

— C’est évident, dit-il en poussant un soupir de soulagement.

— Sans quoi, nous aurons beau crier sur les toits que George n’est pas coupable, personne ne nous croira.

— Ce n’est que trop certain, ma pauvre chérie.

— Quand mon père, lui-même — son père ! — accueille comme vérités certains des bruits dont on ignore l’origine, quand il se meurt de chagrin et de honte sous nos yeux, sans avoir contrôlé ces racontars abominables, quand il ne s’écrie pas, en entendant accuser son fils : « Vous mentez ! George est incapable d’un pareil crime ! », comment pourrions-nous convaincre les étrangers, sans leur donner les preuves indéniables de l’innocence de mon frère ?

— C’est clair comme le jour, approuva Agénor en se grattant le menton. Mais voilà… ces preuves… où les trouver ?…

— Pas ici, bien sûr…

Jane fit une pause puis ajouta à demi-voix :

— Ailleurs peut-être.

— Ailleurs ?… Où donc, ma chère enfant ?

— Où le drame se serait passé. À Koubo.

— À Koubo !…

— Oui, à Koubo. On y trouverait d’abord la tombe de George, puisque c’est là qu’il est mort, d’après ce qu’on raconte et, s’il l’est en effet, on verrait de quelle manière il est mort. Ensuite, on chercherait, on trouverait des survivants du drame. La troupe que George commandait était nombreuse. Il est impossible que tout le monde ait disparu. Ces témoins, on les interrogerait, et par eux on connaîtrait la vérité.

Le visage de Jane s’était illuminé, à mesure qu’elle parlait. Sa voix frémissait d’un enthousiasme contenu.

— Tu as raison, fillette, s’écria Agénor tombant ingénument dans le piège.

Jane reprit son air mutin.

— Eh bien ! dit-elle, puisque j’ai raison, il faut y aller.

— Où ça ? demanda Agénor abasourdi.

— Mais… à Koubo, mon oncle.

— À Koubo !… Et qui diable veux-tu envoyer à Koubo ?

Jane noua ses deux bras au cou d’Agénor.

— Vous, mon bon oncle, glissa-t-elle d’une voix douce.

— Moi !…

Agénor s’était dégagé. Cette fois, il était sérieusement en colère.