Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/39

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articles n’étant pas un cours de géographie, que je ne parlerai pas de cet exercice, à moins qu’il ne sorte, d’une manière ou de l’autre, de l’ordinaire.

Aux environs de Conakry, la route suit une ligne à peu près droite, dans un pays peu accidenté. Elle est bordée de terres assez bien cultivées. Champs de maïs ou de mil, et quelques bouquets d’arbres : cotonniers, bananiers, papayers. On rencontre de rares hameaux parfaitement insignifiants, auxquels M. Tassin attribue avec assurance des noms que je crois de pure fantaisie. Mais, pour nous, c’est exactement comme s’ils étaient authentiques.

Vers dix heures, la chaleur augmentant, le capitaine Marcenay commande la halte. Nous avons fait une vingtaine de kilomètres depuis Conakry, ce qui est très beau. Nous allons déjeuner et nous reposer, puis, après une nouvelle collation, nous repartirons vers cinq heures de l’après-midi, et nous camperons pour la nuit vers les neuf heures du soir.

Ce programme devant être celui de chaque jour, je n’y reviendrai pas. Qu’il soit bien entendu, d’ailleurs, que mon intention n’est pas d’ennuyer vos lecteurs avec les menus détails de la route. Je vois les choses de plus haut, et je n’inscrirai sur mes tablettes que les faits remarquables à un titre quelconque.

Cela dit, reprenons.

L’endroit de la halte a été heureusement choisi par le capitaine Marcenay. Nous nous installons à l’ombre d’un petit bois qui nous abritera très suffisamment contre les ardeurs du soleil. Tandis que les soldats se dispersent, nous — j’entends les membres de la mission, Mlle Mornas, le capitaine, M. de Saint-Bérain et votre serviteur — nous, dis-je, prenons place dans une jolie clairière. J’offre un coussin à notre compagne, mais le capitaine Marcenay et M. Barsac m’ont prévenu et ont apporté chacun un pliant. Embarras. Mlle Mornas ne sait lequel choisir. Déjà le capitaine et le chef de la mission se regardent de travers. Mlle Mornas les met d’accord en s’asseyant par terre sur mon coussin. Ses deux soupirants me font des yeux mauvais.

M. Baudrières s’assied à l’écart sur un petit tas d’herbe, au milieu d’un groupe composé de ceux que j’ai baptisés les « neutres ». Ce sont les délégués des divers ministères plus ou moins compétents, MM. Heyrieux, Quirieu et Poncin.

Ce dernier, le plus remarquable des trois, n’a cessé de prendre des notes depuis le départ. Je ne sais trop lesquelles, par exemple. S’il était moins « officiel », j’oserais insinuer qu’il réalise à merveille le type de M. Prudhomme, mais sa grandeur me pose un bœuf sur la langue, comme eût dit le vieil Homère. Quel front ! Avec un front pareil on est étonnamment intelligent ou prodigieusement bête. Pas de milieu. Dans laquelle de ces deux catégories faut-il ranger M. Poncin ? Je le saurai à l’usage.

Le docteur Châtonnay et M. Tassin, que nous comparons à ces oiseaux qu’on nomme des inséparables, vont s’installer sous un figuier. Ils étalent sur le sol des cartes de géographie. J’espère pour eux qu’ils ne vont pas en faire leur unique nourriture !

Moriliré, qui est décidément un garçon débrouillard, fait apporter au milieu de notre groupe une table, puis un banc, sur lequel je m’installe, en réservant une place à M. de Saint-Bérain.

M. de Saint-Bérain n’est pas là. D’ailleurs, M. de Saint-Bérain n’est jamais là !

Moriliré prépare un fourneau de campagne. Aidé de Tchoumouki et de Tongané, il va nous faire la cuisine, car il a été décidé que l’on toucherait le moins possible aux conserves et aux provisions apportées d’Europe, et qu’on les réserverait pour les cas, que l’on espère rares, où le pays ne nous