Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/41

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Je me hâtai de courir à son appel suivi par le capitaine Marcenay et par M. Barsac. Nous le trouvâmes dans une mare, enfoncé dans la vase jusqu’au ventre.

Quand on l’eut tiré au sec :

— Comment êtes-vous tombé dans ce marécage, ou dans ce marigot, pour employer le terme du pays ? lui demandai-je.

— J’ai glissé, répondit-il tout en m’éclaboussant, tandis que je pêchais.

— À la ligne ?

— Vous n’y songez pas. À la main, mon cher.

— À la main ?…

M. de Saint-Bérain nous montra son casque colonial enveloppé dans son veston de toile.

— Attendez, dit-il, sans me répondre autrement. Il faut déplier mon veston avec précaution, sinon elles vont se sauver.

— Qui, elles ?

— Les grenouilles.

Tandis que nous devisions, M. de Saint-Bérain pêchait la grenouille. Quel enragé !

— Mes compliments, approuva M. Barsac. C’est succulent, la grenouille… Mais écoutez les coassements de celles que vous avez capturées. Elles ne veulent évidemment pas être mangées.

— À moins qu’elles ne crient pour demander un roi ! hasardai-je.

Ce n’était pas très fort, je le reconnais. Mais, dans la brousse !…

Sur ce mot, nous retournâmes au campement. Saint-Bérain changea de vêtements, et Moriliré fit cuire le produit de sa pêche. La table étant mise, nous mangeâmes avec l’appétit des gens qui ont avalé une vingtaine de kilomètres à cheval en guise d’apéritif.

Mlle Mornas présidait, cela va de soi.

Elle est vraiment délicieuse. (Je l’ai dit, je crois, mais je ne saurais trop le répéter.) Simple, bon enfant, gentiment garçonnière, elle nous a vite mis à l’aise.

— Mon oncle… (alors, c’est décidément son oncle ? C’est bien vu ? bien entendu ?) Mon oncle, disait-elle, m’a élevée comme un garçon et il a fait de moi un homme. Oubliez mon sexe, je vous en prie, et considérez-moi comme un camarade.

Ce qui ne l’a pas empêchée d’adresser, ce disant, au capitaine Marcenay un de ces demi-sourires qui montrent clair comme le jour que, chez les garçons de cette espèce-là, la coquetterie ne perd jamais ses droits.

Nous prîmes le café. Après quoi, mollement étendus, dans les grandes herbes à l’ombre des palmiers, nous nous livrâmes aux douceurs de la sieste.

Le départ était, comme je l’ai dit, fixé à cinq heures ; mais, quand il fallut reformer le convoi, il y eut du tirage, si j’ose employer cette forte expression.

C’est en vain que Moriliré, le moment venu, ordonna à ses hommes de se préparer.