Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/44

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M. Barsac a tressailli, comme si un taon l’avait piqué. Il se redresse, et réplique d’un ton sec :

— Avec ça qu’on n’a jamais vu un Français battre sa femme ! Il n’a pas tort, non plus, M. Barsac.

Nous faudra-t-il assister à un tournoi d’éloquence ? Non. M. Baudrières n’ayant pas riposté, M. Barsac se retourne vers le nègre au bâton.

— Cette petite va te quitter, lui dit-il. Nous l’emmènerons avec nous.

Mais le nègre proteste. La négresse est son esclave. Il l’a payée. Allons-nous perdre notre temps à lui faire comprendre que l’esclavage est aboli en territoire français ? Il ne comprendrait certainement pas. Ce n’est pas en un jour que les lois réforment les moeurs.

M. Barsac a trouvé mieux.

— J’achète ton esclave, lui dit-il. Combien ?

Bravo, M. Barsac ! Voilà une bonne idée.

Le nègre voit l’occasion de faire une affaire avantageuse et se rassérène. Il demande un âne, un fusil et cinquante francs.

— Cinquante coups de bâton ! répond le capitaine. C’est tout ce que tu mérites.

On marchande. Enfin notre coquin cède sa servante pour un vieux fusil à pierre, une pièce d’étoffe et vingt-cinq francs. Réellement, c’est donné.

Pendant que cette discussion se poursuivait, Mlle Mornas avait relevé Malik et pansé ses blessures avec du beurre de karité. Le marché conclu, elle l’emmena jusqu’à notre campement, l’habilla d’une blouse blanche, puis, lui mettant quelque monnaie dans la main :

— Maintenant, lui dit-elle, tu n’es plus esclave. Je te rends ta liberté.

Mais ne voilà-t-il pas Malik éclate en sanglots ! Elle est seule sur la terre et ne veut pas quitter « si bonne Blanche ». Elle lui servira de femme de chambre et lui sera dévouée jusqu’à la mort. Elle pleure, supplie.

— Garde-la, fillette, intervient Saint-Bérain. Elle te sera certainement utile. Elle te rendra ces mille petits services dont une femme, même quand elle est un homme, a toujours besoin.

Mlle Mornas se rendit d’autant plus volontiers qu’elle en mourait d’envie. Malik, ne sachant comment témoigner sa gratitude à Saint-Bérain qui avait intercédé pour elle, lui sauta au cou et l’embrassa sur les deux joues. Saint-Bérain m’avoua le lendemain que rien ne lui avait jamais été aussi désagréable.

Inutile d’ajouter que Mlle Mornas ne crut pas devoir goûter une troisième fois de l’hospitalité indigène. On lui dressa une tente où rien ne vint plus troubler son sommeil.

Telle fut notre première journée.