Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

derrière lequel est élevé un échafaudage en bois qui sert de chemin de ronde.

La tata de Timbo contient en réalité trois villages, séparés les uns des autres par de vastes espaces cultivés ou boisés, où les animaux domestiques flânent en liberté. Dans chacun de ces villages, il y a un petit marché quotidien, mais dans le plus étendu se tient un grand marché hebdomadaire.

Une case sur quatre est inoccupée. Elle est remplie d’immondices, d’ordres variées, ainsi, d’ailleurs, que les rues. Il est hors de doute que ce pays manque de balayeurs. Et autant que malpropre il est pauvre. Nous avons vu des enfants, la plupart d’une maigreur de squelettes, chercher leur nourriture dans le fumier. Quant aux femmes, elles sont d’une laideur repoussante.

Cela, du reste, ne les empêche pas d’être coquettes. Comme c’était jour de marché, les plus riches de l’endroit s’étaient mises sur leur trente et un. En toilette « habillée », elles portent un pagne bleu rayé de blanc, le haut du corps étant enveloppé d’une pièce de calicot blanc ou de mauvais florence aux couleurs éclatantes, leurs oreilles sont chargées de lourds anneaux de métal soutenus par des chaînettes d’argent entrecroisées sur le dessus de la tête, et des bracelets et des colliers en corail ou en perles fausses décorent leurs cous, leurs poignets et leurs chevilles.

Presque toutes ont des coiffures en forme de casque. Certaines ont les pariétaux rasés et un cimier de cheveux orné de verroterie sur le sommet du crâne. D’autres sont complètement rasées. Les plus élégantes se font une tête de clown : toupet pointu et deux larges coques latérales. À leur façon d’arranger leur chevelure, on doit, paraît-il, reconnaître à quelle race elles appartiennent, peuls, mandé, bambara, etc. Mais je ne suis pas de cette force, et j’abrège ces détails ethnographiques, sur lesquels M. Tassin doit, à son retour, s’étendre dans un livre qui sera, à tout le moins, sérieusement documenté.

Les hommes sont vêtus de brayes, de blouses blanches ou de pagnes. Ils ornent leurs crânes des couvre-chefs les plus divers, depuis la chéchia jusqu’au chapeau de paille, en passant par le bonnet orné de ferblanterie ou de losanges d’étoffes de couleur. Pour vous saluer, ils se frappent la cuisse de la paume de la main pendant cinq bonnes minutes, en répétant le mot dagaré, qui doit, comme Ini-tié, signifier « bonjour », ou bien Ini Sou-Khou-ma, qui le signifie certainement.

Nous nous rendons au grand marché, où nous trouvons réunie toute l’aristocratie de Timbo. Les vendeurs y sont installés depuis huit heures du matin dans deux rangées de paillotes, ou seulement assis sous des nattes soutenues par quatre piquets, mais le beau monde n’y arrive que vers onze heures.

On y vend un peu de tout : du mil, du riz, du beurre de karité à 0 fr. 50 centimes le kilo, du sel à raison de 11 fr. 50 la barre de vingt-cinq kilos, des boeufs, des chèvres, des moutons, des poulets à 3 fr. 30 la pièce, ce qui n’est pas donné, des fusils à pierre, des noix de kola, du tabac, des koyos ou bandes pour pagne, des niomi, galettes de farine de mil ou de maïs frites, des étoffes variées : guinée, calicot, des chapeaux, des turbans, du fil, des aiguilles, des épingles, de la poudre, des pierres à fusil, etc., et enfin, bien étalés sur des peaux desséchées, de petits tas de viande pourrie d’une odeur sui generis, pour les gourmets.

Timbo est, comme je vous l’ai dit, le premier centre un peu important que nous rencontrons. Aussi y sommes-nous restés deux jours, les 13 et 14 décembre. Ce n’est pas que nous soyons extrêmement fatigués, mais les animaux et les porteurs, ces autres bêtes de somme, manifestent une lassitude parfaitement légitime.