Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/50

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Il faut l’intervention du docteur Châtonnay pour délivrer Saint-Bérain. Trois coups de bistouri y suffisent, que le docteur ne se prive pas d’accompagner de commentaires. Et il rit, que c’est un plaisir !

— On peut dire que vous avez « mordu » ! s’écrie-t-il d’abord avec conviction, tout en procédant à l’examen du champ opératoire.

— Aïe !… fait, pour toute réponse, Saint-Bérain qui vient d’être séparé du premier hameçon.

— Pour une belle pêche, c’est une belle pêche ! proclame au deuxième le docteur.

— Aïe !… crie derechef Saint-Bérain.

Enfin, pour le troisième :

— Vous pouvez vous flatter d’avoir pris la grosse pièce, aujourd’hui, complimente l’excellent docteur.

— Aïe !… soupire une dernière fois Saint-Bérain. L’opération est terminée. Il n’y a plus qu’à panser le blessé, qui remonte ensuite à cheval, où il prendra, pendant deux jours, des attitudes très cocasses.

Le 12 décembre, nous sommes arrivés à Boronya. Boronya serait un petit village comme les autres, s’il n’avait l’avantage de posséder un chef particulièrement aimable. Ce chef, qui est tout jeune, car il n’a guère plus de dix-sept ou dix-huit ans, gesticule beaucoup et distribue des coups de fouet aux curieux qui nous approchent de trop près. Il s’élance au-devant de nous, une main sur son cœur, et nous fait mille protestations d’amitié, que nous reconnaissons en lui offrant du sel, de la poudre et deux rasoirs. À la vue de ces trésors, il danse de joie.

Pour nous remercier, il donne l’ordre de construire, en dehors du village, des paillotes dans lesquelles nous pourrons coucher. Lorsque je prends possession de la mienne, je vois les nounou très occupés à aplanir et à fouler le sol, qu’ils recouvrent de bouse de vache séchée. Je leur demande pourquoi le luxe de ce tapis ; ils me répondent que c’est pour empêcher les vers blancs de sortir de terre. Je leur sais gré de l’attention, et les en récompense d’une poignée de cauries1. Ils en sont tellement enchantés qu’ils s’empressent de cracher sur les murs et d’étaler leurs crachats avec la paume de la main. Saint-Bérain, qui doit partager ma case — et qui est là

1 Caurie, monnaie indigène, donc seize cents valent cinq francs. par hasard ! — me dit que, ce qu’ils en font, c’est pour m’honorer. Grand merci !

Le 13 décembre, dans la matinée, nous atteignons Timbo sans autre incident. Cette agglomération, la plus importante de celles que nous avons traversées jusqu’ici, est entourée d’un tata, c’est-à-dire d’un mur en pisé, d’épaisseur variable selon les contrées,