Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/68

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C’est ainsi que l’amour qu’éprouvaient l’un pour l’autre Jane Mornas et Marcenay leur fut révélé à eux-mêmes.

Le lendemain, on commença à s’occuper de la manière dont la mission allait être divisée, et, tout de suite, on se heurta à des difficultés imprévues.

Pour les Européens, rien de plus simple. Autour de Baudrières se groupèrent MM. Heyrieux et Quirieu, conformément à leurs instructions, et M. Tassin, conformément à ses préférences personnelles. À Barsac se réunirent M. Poncin et le docteur Châtonnay. Amédée Florence se joignit à cette fraction, dont l’itinéraire plus étendu était, par conséquent, susceptible de donner matière à plus ample copie.

Quant au capitaine Marcenay, il avait ordre d’affecter à l’escorte de Baudrières cent de ses hommes sous le commandement d’un lieutenant détaché de la garnison de Sikasso et de se joindre personnellement à la fraction Barsac avec les cent autres. Décidé, cela va de soi, à la plus stricte obéissance, il n’en était pas moins très troublé, et il ne se demandait pas sans une certaine angoisse quel parti allaient adopter Jane Mornas et Saint-Bérain.

Quel soupir de soulagement, quand il entendit la jeune fille, interrogée à ce sujet, déclarer qu’elle accompagnerait Barsac ! Mais quel autre soupir, de déception celui-ci, succéda bientôt au premier, lorsque Jane ajouta qu’elle et Saint-Bérain ne resteraient que peu de jours avec l’honorable député du Midi, et que leur intention était de le quitter au bout de quelques étapes, afin de continuer leur exploration personnelle plus au nord.

Parmi les officiers, ce fut un tollé général. Il n’y eut personne qui ne blâmât la jeune fille d’avoir formé un projet aussi imprudent. Eh quoi ! seule, sans escorte, elle voulait se risquer dans des régions presque complètement inconnues et dans lesquelles les armes françaises n’avaient jamais pénétré ? On lui représenta qu’un tel voyage était irréalisable, qu’elle y risquait sa vie, ou que, tout au moins, les chefs des villages s’opposeraient à son passage.

Rien n’y fit, Jane Mornas demeura inébranlable, et nul, pas même le capitaine Marcenay, n’eut sur elle la moindre influence.

— Vous perdez votre temps, déclara-t-elle en riant. Vous n’arriverez, tout au plus, qu’à épouvanter mon oncle, qui roule là-bas de gros yeux effarés.

— Moi ! !… protesta Agénor ainsi pris à partie.

— Oui, vous, insista Jane Mornas. Vous mourez de peur, c’est visible. Vous laisseriez-vous donc influencer par tous ces prophètes de malheur ?