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D’après la description du « palais », il est aisé de concevoir ce que peuvent être les demeures des vulgaires citoyens. Ce sont des antres, où grouillent rats, lézards, mille-pattes et cancrelats, au milieu d’ordures de toute espèce, d’où se dégage une odeur fétide.

Charmant séjour !

C’est dans le « palais » qu’a lieu la réception « officielle ». Elle consiste à faire à Pintié-Ba des cadeaux, d’ailleurs sans valeur, depuis des morceaux d’étoffes jusqu’à des cadenas sans clé, depuis de vieux pistolets à pierre, jusqu’à du fil et des aiguilles.

Littéralement ébloui par ces présents magnifiques, le dougoutigui donne le signal du tam-tam.

Tout d’abord, des musiciens parcoururent le village, en jouant, qui du bodoto, trompe faite en corne d’antilope, qui du bouron, autre trompe en défense d’éléphant, qui encore du tabula, soit, en français, du tambour. Deux hommes portent ce tabala, sur lequel un troisième frappe à tour de bras avec une sorte de massue, dont le nom est tabala kalama. À ce propos, le capitaine Binger fait observer avec raison que kalama a tout l’air de venir de calamus, et que par suite, tabala kalama signifie littéralement : plume à écrire du tambour.

Aux sons de ces différents instruments, les Bobos se réunissent sur la place, et la fête commence.

Une sorte de polichinelle soudanais, le mokho missi kou, fait son entrée et danse avec force grimaces et contorsions. Il est vêtu d’un maillot en étoffe rouge et coiffé d’un bonnet orné de queues de vaches, duquel tombe un morceau d’étoffe qui recouvre son visage. Il porte en bandoulière un sac rempli de ferraille bruyante, et chacun de ses mouvements fait sonner des grelots et des sonnettes attachés à ses poignets et à ses chevilles. Avec de longues queues de vaches, il chatouille agréablement la figure des assistants.

Lorsqu’il a terminé ses exercices qui semblent amuser beaucoup Pintié-Ba et ses administrés, ces derniers, sur un signe du chef, poussent des rugissements de bêtes féroces, ce qui équivaut, j’imagine, à d’unanimes applaudissements.

Le silence rétabli, Pintié-Ba se fait apporter une ombrelle ornée de cauries et d’amulettes, non qu’il en ait besoin, mais parce qu’un dougoutigui n’est rien, s’il n’a, largement ouvert au-dessus de sa tête, le parasol, insigne du pouvoir.

Aussitôt, les danses reprennent. Hommes, femmes, enfants forment le cercle, les griots frappent sur des tabala, et deux danseuses accourent des extrémités opposées de la place. Après trois rapides pirouettes, elles s’élancent l’une contre l’autre, non pas face à face, mais, au contraire, en se tournant le dos, et, parvenues au contact, se heurtent réciproquement le plus fort possible.

À ces deux « danseuses » se succèdent deux autres, et enfin tous les assistants se livrent, en poussant des cris sauvages, à une