Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ces vérités me paraissent éblouissantes, et je m’étonne que mes compagnons de voyage n’en soient pas, eux aussi, éblouis.

Au fait ! peut-être le sont-ils, mais peut-être aussi ont-ils leurs raisons de fermer les yeux. Examinons cela.

Primo : le capitaine Marcenay. Pour lui, la question ne se pose pas. Le capitaine n’a pas à discuter ; il obéit. Au surplus, je n’imagine pas qu’il lui viendrait, même en l’absence d’ordre, la pensée de reculer tant que Mlle Mornas ira de l’avant. La sympathie qu’ils éprouvent l’un pour l’autre a marché beaucoup plus vite que nous depuis Sikasso. Nous nous trouvons en présence d’une passion officielle, avouée de part et d’autre, et qui doit finir logiquement par un mariage, à telle enseigne que M. Barsac a, de lui-même, renoncé à ses allures conquérantes, pour redevenir uniquement l’excellent homme qu’il est en réalité. Donc, passons.

Secundo : M. Poncin. M. Poncin est, lui aussi, un subordonné et, lui aussi, il obéit. Quant à ce qu’il pense en son for intérieur, bien fin qui le dira. M. Poncin prend des notes du matin au soir, mais est d’un silencieux à rendre des points à Hermès lui-même. Je jurerais que depuis le départ il n’a pas prononcé dix paroles. Mon opinion personnelle est qu’il s’en fiche. Donc, passons sur M. Poncin.

Tertio : Saint-Bérain. Oh ! ça, c’est une autre affaire. Saint-Bérain ne voit que par les yeux de sa tante-nièce ; il n’existe que par elle. D’ailleurs, Saint-Bérain est si distrait qu’il ne sait peut-être pas qu’il est en Afrique. Donc, passons sur le numéro trois.

Quarto : Mlle Mornas. Nous connaissons la raison de son voyage. Elle nous l’a dit : son caprice. Cette raison suffirait, même si la délicatesse ne nous interdisait pas de chercher à savoir s’il en existe une autre en réalité.

Quinto : Moi. Ce numéro cinq est le seul dont la conduite soit parfaitement logique. Quelle est ma raison d’être, à moi ? La copie. Donc, plus il y aura d’embêtements de toute sorte, plus je fabriquerai de copie, et plus je serai content. Il est, par conséquent, tout simple que je ne songe pas à revenir en arrière. Aussi je n’y songe pas.

Reste M. Barsac. Lui, il ne doit obéissance à personne, il n’est amoureux de personne, il a dû s’apercevoir que nous étions en Afrique, il est trop sérieux pour céder à un caprice, et il n’a pas de copie à placer. Alors ?…

Ce problème me tracasse tellement que je vais délibérément lui poser la question à lui-même.

M. Barsac me regarde, hoche la tête de haut en bas, et me répond par un geste qui ne signifie rien. C’est tout ce que je peux