Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/80

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Mais, soudain, cette pensée me vient : et l’autre Moriliré, celui qui dort si bien à la clarté de la lune ?

Je cours à ce dormeur obstiné, je le secoue… Bon ! j’aurais dû m’en douter, le doroké est vide et me reste dans la main. Quant à la face noire, ce n’est qu’un morceau de bois surmonté du casque et du plumet dont l’ancien tirailleur orne ses avantages naturels.

Cette fois, le drôle est pris en flagrant délit. Il faudra bien qu’il s’explique.

Je retourne près de Saint-Bérain et de son prisonnier. Ce dernier semble revenir péniblement à la vie.

Je dis : semble, car, tout à coup, il saute sournoisement sur ses pieds et s’élance du côté de la rivière, dans l’intention évidente d’y prendre un nouveau bain.

Moriliré a compté sans son hôte. La main de Saint-Bérain s’abat sur le poignet du fugitif qui fait de vains efforts pour se dégager.

Sincèrement, je crois Saint-Bérain moins séduisant que l’Apollon du Belvédère, mais il est fort comme Hercule. Il doit avoir une pince terrible, si j’en juge par les contorsions et les grimaces du nègre. En moins d’une minute, Moriliré est vaincu, glisse sur les genoux et demande grâce. En même temps, de sa main inerte quelque chose tombe.

Je me baisse et ramasse l’objet. Malheureusement, nous ne nous méfions pas assez du nègre. Moriliré se dégage d’un effort désespéré, se jette sur moi et s’empare, avec sa main libre, dudit objet, qui disparaît dans sa bouche.

Troisième juron de Saint-Bérain. Je saute à la gorge du captif, dont mon compagnon empoigne l’autre bras.

Moriliré, étranglé, doit restituer. Il ne restitue, hélas ! qu’à moitié. Avec ses dents d’acier, le nègre a coupé en deux l’objet suspect, dont une partie est engloutie dans les profondeurs de son estomac.

Je regarde ma conquête. C’est une petite feuille de papier, sur laquelle il y a quelque chose d’écrit.

— Tenez bien cette canaille, dis-je à Saint-Bérain.

Saint-Bérain me rassure d’un mot, et je cours chercher le capitaine Marcenay. Le premier soin de celui-ci est de déposer Moriliré congrûment ficelé dans une tente, autour de laquelle il place quatre hommes munis de la consigne la plus sévère. Après quoi, nous allons tous les trois chez le capitaine, très impatients de savoir ce qu’il y a sur la feuille de papier.

À la lueur d’une lanterne, on constate que ce sont des caractères arabes. Le capitaine, arabisant distingué, n’aurait aucune peine à les lire, s’ils étaient mieux tracés, et si le document était intact. Or, l’écriture est des plus imparfaites, et, comme je l’ai dit, nous ne possédons qu’une partie du texte. Dans l’état actuel, ce n’est qu’un rébus, que l’in-