Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/81

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suffisante lumière de la lanterne ne permet pas de déchiffrer. Il faut attendre le jour.

Mais, le jour venu, nous réfléchissons que nous allons sans doute nous donner une peine inutile. Tout porte à croire que Moriliré, ne pouvant plus espérer nous tromper, voudra tout au moins se valoir notre indulgence, qu’il avouera sa faute, par conséquent, et nous donnera lui-même la traduction complète du document.

Nous nous dirigeons vers la tente qui lui sert de prison, nous y pénétrons…

Stupéfaits, nous nous arrêtons sur le seuil : les liens du prisonnier jonchent le sol. La tente est vide.


IX

un ordre du gouverneur général


(Carnet de notes d’Amédée Florence.)

Même jour. — Tout à l’heure, j’ai dû m’interrompre, le capitaine Marcenay m’ayant appelé pour me montrer la traduction du lambeau de document arraché à l’appétit de Moriliré. Je reprends le récit chronologique des événements.

Donc, nous trouvons la tente vide. Plus de Moriliré. Rien que ses liens sur le sol. Très irrité, le capitaine Marcenay interpelle les hommes de garde. Mais les pauvres diables sont aussi étonnés que lui. Ils affirment n’avoir pas quitté leur poste et n’avoir entendu aucun bruit suspect. C’est à n’y rien comprendre.

Nous rentrons dans la tente, et alors seulement nous remarquons qu’elle est percée, à son sommet, d’un trou assez large pour laisser passer un homme, et au-dessus duquel on aperçoit une grosse branche de bombax. Dès lors, tout s’explique. Moriliré, mal attaché, s’est débarrassé de ses liens et, grimpant le long du piquet central, il a repris sa liberté par le chemin des airs.

Faut-il courir après lui ? À quoi bon ? Le fugitif a près d’une heure d’avance et, d’ailleurs, comment trouver un homme au milieu des hautes graminées de la brousse ? Il faudrait avoir des chiens.

D’accord sur ce point, nous nous résignons à l’inévitable. Le capitaine fait abattre la tente qui a si mal gardé Moriliré, renvoie les quatre tirailleurs, en leur ordonnant, sous peine d’un châtiment sévère, le plus profond silence sur ce qu’ils ont vu, et disparaît chez lui, où il va s’attaquer au mystérieux document. Moi, je m’attelle à la rédaction de mes notes. Pendant ce temps, Saint-Bérain mettra nos compagnons au courant des événements, s’il ne l’oublie pas, toutefois.

Une heure plus tard, le capitaine Marcenay m’envoie chercher, comme je l’ai dit. Je le trouve dans la tente de M. Barsac, où tous les Européens sont réunis. Les visages expriment un étonnement des plus naturels. À quoi rime, en effet, la trahison de Moriliré ? Agirait-il pour le compte d’un tiers, dont, pour ma part, j’ai soupçonné l’intervention il y a déjà longtemps ? Dans quelques minutes, nous le saurons peut-être.

— L’écriture arabe, nous explique le capitaine Marcenay, va de droite à gauche, mais il n’y a qu’à la lire par transparence, en tournant vers soi le verso du papier, pour la rétablir dans le sens qui nous est habituel. On obtient alors ceci.

Il nous remet un papier, calqué sur celui dont nous nous sommes emparés, et par conséquent irrégulièrement déchiré, sur lequel je lis les mots suivants, que je transcris en caractères latins :

Mansa a man grigni toubaboul

Mémou nimbé mando kafa batak manaéta sofa

A okata. Batou i a kafolo. Mansa a bé

S’il n’y a que moi pour déchiffrer ce grimoire !…