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Aujourd’hui encore, ce bruit singulier nous arrive de l’est. Il est très faible, suffisamment fort, cependant, pour qu’une erreur ne soit pas admissible. Aussi bien, je ne suis pas seul à l’avoir entendu. Le camp entier lève la tête vers le ciel, et les Noirs donnent déjà des signes de terreur.

Il fait jour, ai-je dit, et pourtant nous n’apercevons rien. Où qu’on regarde, le ciel est désert. Il est vrai qu’une colline assez haute limite la vue, du côté de l’est précisément. Je me hâte vers son sommet.

Pendant que je la gravis de toute la vitesse de mes jambes, l’étrange bruit grandit peu à peu, puis cesse brusquement, et, quand j’atteins le point culminant, rien ne trouble le silence.

Mais, si je n’entends plus, je peux voir maintenant. Devant moi, c’est la plaine, c’est, à perte de vue, cette forêt de graminées démesurées qui constitue la brousse. Cette étendue est déserte.

J’écarquille en vain les yeux, en vain j’inspecte l’horizon. Je ne vois rien.

Je reste en sentinelle jusqu’au moment où la nuit tombe. Peu à peu, de profondes ténèbres recouvrent la campagne, car la lune va entrer dans son dernier quartier et se lève tard, par conséquent. Il est inutile de m’entêter davantage. Je redescends.

Or, je ne suis pas à moitié de la côte que le bruit reprend. C’est à devenir fou, ma parole. Il reprend de la même manière qu’il a cessé, brusquement, puis décroît peu à peu, comme s’il s’éloignait dans l’Est. En quelques minutes, c’est de nouveau le silence.

J’achève ma descente, tout pensif, et je rentre dans ma tente, où j’écris brièvement ces quelques notes.

13 février. — Aujourd’hui, repos. Chacun s’occupe de ses affaires.

M. Barsac se promène de long en large. Il paraît soucieux.

M. Poncin prend, sur un calepin de grand format, des notes sans doute relatives à ses fonctions. À en juger par les mouvements de son crayon, il semblerait qu’il se livre à des calculs. Quels calculs ? Je le lui demanderais bien, mais me répondrait-il ? Entre nous, je crains qu’il ne soit muet.

Saint-Bérain… Bon ! où est-il, Saint-Bérain ?… Je présume qu’il taquine le goujon quelque part.

Le capitaine Marcenay cause avec Mlle Mornas. Ne les troublons pas.

À l’autre extrémité du camp, Tongané tient compagnie à Malik. Ils n’ont pas l’air de trouver le temps long, eux non plus.

Le personnel nègre dort çà et là, et l’escorte, à l’exception des sentinelles, fait de même.

Moi, je passe une bonne partie de la journée à terminer un article, à l’aide des notes des jours précédents.