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ceux-ci s’empressent d’aller enterrer pieusement dans de petits trous. J’ai beau m’enquérir, par le canal de Saint-Bérain qui se fait à peu près comprendre, impossible de connaître les raisons de cette étrange coutume.

À quelques pas, un « médecin » traitait un malade suivant les prescriptions du Codex nègre. Nous assistons de loin à la « consultation ».

Le malade est un homme émacié, aux yeux caves, tout tremblant de fièvre. Le médecin le fait coucher sur le sol, au milieu d’un cercle de curieux, puis, s’étant blanchi la figure avec de la cendre délayée, car, ici, le blanc est « fétiche », il place auprès de lui une petite statuette en bois grossièrement sculptée, image d’un dieu favorable. Il exécute ensuite autour du patient une danse échevelée, en poussant des cris sauvages. Enfin, il se fait indiquer la partie malade, la masse doucement, et soudain, avec un hurlement de joie, feint d’en retirer un fragment d’os dissimulé au préalable dans sa main. Le malade se lève aussitôt et s’en va, en se déclarant guéri, nouvelle preuve de la vérité de cet apophtegme : il n’y a que la foi qui sauve.

Celle de notre malade n’était-elle pas suffisante ? Il y a lieu de le supposer, car l’amélioration par lui accusée n’a été que de courte durée. Le soir même, notre campement recevait sa visite. Ayant appris, de l’un ou l’autre de nos nègres, qu’un médecin toubab était parmi nous, il venait implorer le secours du sorcier blanc, puisque le sorcier noir n’avait pas réussi à le soulager.

Après un examen sommaire, le docteur Châtonnay lui administra tout simplement une dose de quinine. Le « client » ne fut pas avare de barka (merci), mais, tout en s’éloignant, il secouait la tête d’un ait sceptique, en homme qui ne compte guère sur un remède dont aucune incantation ni sortilège ne renforcent l’efficacité.

12 février. — Aujourd’hui, c’est « même chose » qu’hier comme disent nos hommes d’escorte. C’est même pis. Nous ne ferons encore qu’une seule étape, et nous n’en ferons pas demain.

Ce matin, le départ s’est accompli en bon ordre.

Au moment où notre colonne s’ébranlait, nous avons vu accourir le malade d’hier soir. Il allait tellement mieux qu’il voulait remercier son sauveur une fois de plus. Le docteur lui remit quelques paquets de quinine, avec la manière de s’en servir.

Tout va bien jusqu’à l’étape. Le train est vif. Pas une anicroche, pas une plainte parmi les nègres. C’est trop beau.

À l’heure de la halte, en effet, pendant qu’on s’installe, Tchoumouki aborde le capitaine Marcenay et lui tient un discours analogue à celui de la veille. Le capitaine répond que Tchoumouki a pleinement raison, qu’on ne repartira pas, ni ce soir, ni de toute la journée de demain, mais qu’ensuite, après ce grand repos, on ne s’arrêtera plus, le soir, avant d’avoir franchi un minimum de vingt kilomètres.

Le capitaine a prononcé ces mots à haute voix, de façon que nul n’en ignore. Les nègres savent donc qu’on va désormais inaugurer la manière forte. Mais le ton ferme du capitaine les a probablement impressionnés. Ils ne disent rien et font le gros dos, en échangeant des regards en dessous.

Même jour, onze heures du soir. — Cette histoire-là commence à m’agacer.

Ce soir, un peu avant six heures, en plein jour, par conséquent, nous entendons tout à coup le même bruit de ronflement, ou de bourdonnement, qui a, une première fois, frappé nos oreilles près de Kankan, et ensuite mon tympan personnel, le soir de l’incident Moriliré.