Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ni Tchoumouki non plus, ce qui fait que j’ai toujours mon article en poche.

15 février. — Au réveil, ce matin, je ne constate aucun préparatif de départ. Je m’informe auprès de Tongané, lequel m’apprend que nous ne bougerons pas de toute la journée. Après le repos d’hier, cette halte me paraît étrange.

Le hasard me fait croiser le lieutenant Lacour, toujours aussi raide et d’une aussi impeccable élégance. Je l’aborde, et lui demande la raison de cet arrêt supplémentaire.

— Ordre de M. Barsac, me répond-il laconiquement.

Quatre mots, après lesquels il fait le salut militaire et pivote sur ses talons. Le lieutenant Lacour n’est pas ce qu’on appelle un brillant causeur.

Pourquoi le chef de la mission nous fait-il ainsi marquer le pas ? Renoncerait-il à poursuivre le voyage avec cette escorte réduite des quatre cinquièmes ? Cela m’intrigue. Cela m’inquiète aussi, puisque cette décision mettrait le point final à un reportage que je pressens être sur le point de devenir sensationnel.

Précisément, vers dix heures, j’aperçois M. Barsac. Il se promène à grands pas, les mains derrière le dos, les yeux vers le sol, et n’a pas l’air de bonne humeur. Le moment n’est peut-être pas très bien choisi pour lui demander quels sont ses projets. Cette considération ne m’arrête pas, et je risque l’interview.

M. Barsac ne se fâche pas. Il s’arrête, et me regarde un bon moment en silence. Enfin, il me dit :

— Il y a quelques jours, monsieur Florence, vous m’avez déjà posé la même question. Je ne vous ai pas répondu. Je vous répondrai aujourd’hui que je ne sais pas moi-même quelle réponse je dois faire.

— Vous n’avez donc pris encore aucune décision, monsieur le député ?

— Aucune. Je réfléchis, je tâtonne, je pèse le pour et le contre…

Nouveau silence, puis, tout à coup :

— Mais, au fait, s’écrie M. Barsac, pourquoi n’examinerions-nous pas la question ensemble ? Vous êtes un garçon pratique et plein de bon sens. (Merci bien, monsieur Barsac.) Vous me donnerez votre avis.

Je m’incline.

— À vos ordres, monsieur le député.

— Examinons d’abord, reprend M. Barsac, si ce voyage peut être continué sans imprudence ; en d’autres termes, s’il est possible.

Je suggère :

— Peut-être vaudrait-il mieux examiner d’abord s’il est utile.

— Du tout, réplique M. Barsac, son utilité est certaine.