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LA CHASSE AU MÉTÉORE

refusé… au moins par le docteur, car, si Francis Gordon n’était que le neveu de son oncle, Jenny, elle, était bien la fille de son père et n’aurait pu se marier contre sa volonté. Si, ensuite, les deux enragés voulaient se dévorer réciproquement, le révérend O’Garth n’en aurait pas moins accompli l’œuvre matrimoniale dans l’église de Saint-Andrew.

Comme pour justifier ces raisonnements optimistes, quelques jours encore s’écoulèrent sans apporter aucun changement dans la situation. Le temps ne cessait d’être au beau, et jamais le ciel de Whaston n’avait été si serein. Sauf quelques brumes matinales et vespérales qui se dissipaient après le lever et le coucher du soleil, pas une vapeur ne troublait la pureté de l’atmosphère, au milieu de laquelle le bolide accomplissait sa course régulière.

Faut-il répéter que MM. Forsyth et Hudelson continuaient à le dévorer des yeux, qu’ils tendaient les bras comme pour le happer, qu’ils l’aspiraient à pleins poumons ! Certes, mieux eût valu que le météore se dérobât à leurs regards derrière une épaisse couche de nuages, sa vue ne pouvant que les exalter davantage. Aussi Mitz, avant de gagner son lit, brandissait-elle chaque soir son poing vers le ciel. Vaine menace. Le météore traçait toujours sa courbe lumineuse sur un firmament constellé d’étoiles.

Ce qui tendait à aggraver les choses, c’était l’intervention, tous les jours plus nette, du public dans cette discorde privée. Les journaux, les uns avec vivacité, les autres avec violence, prenaient parti pour Dean Forsyth ou pour Hudelson. Aucun n’était indifférent. Bien que la question de priorité ne dût pas, en bonne justice, se poser, personne ne voulait en démordre. Du haut de la tour et du donjon, la querelle descendait jusque dans les bureaux de rédaction, et il était à prévoir des complications graves. On annonçait déjà que des meetings allaient se réunir dans lesquels l’affaire serait discutée. Avec quelle intempérance de langage, on s’en doute, étant donné l’impétueux caractère des citoyens de la libre Amérique.

Mrs Hudelson et Jenny éprouvaient beaucoup d’inquiétude en constatant cette effervescence ! Loo s’efforçait vainement de rassurer sa mère, Francis de rassurer sa fiancée. On ne pouvait se dissimuler que les deux rivaux se montaient de plus en plus, qu’ils subissaient l’influence de ces détestables excitations. On