En ce moment, la route présentait en arrière une direction rectiligne de deux milles au moins. La portée du regard n’était donc plus limitée par de brusques tournants.
Quelle fut notre très sérieuse inquiétude, en voyant que le nombre des éléphants s’était encore accru depuis une heure ! On ne pouvait en compter moins d’une centaine.
Ces animaux marchaient alors en file double ou triple, suivant la largeur du chemin, silencieusement, du même pas, pour ainsi dire, les uns la trompe relevée, les autres les défenses en l’air. C’était comme le moutonnement d’une mer, que soulèvent de grandes lames de fond. Rien ne déferlait encore, pour continuer la métaphore ; mais si une tempête déchaînait cette masse mouvante, à quels dangers ne serions-nous pas exposés ?
Cependant, la nuit venait peu à peu, — une nuit à laquelle allaient manquer la lumière de la lune et la lueur des étoiles. Une sorte de brume courait dans les hautes zones du ciel.
Ainsi que l’avait dit Banks, lorsque cette nuit serait profonde, on ne pourrait s’obstiner à suivre ces routes difficiles, il faudrait bien s’arrêter. L’ingénieur résolut donc de faire halte, dès qu’un large évasement de la vallée, ou quelque fond dans une gorge moins étroite, pourrait permettre au menaçant troupeau de passer sur les flancs du train et de continuer sa migration vers le sud.
Mais le ferait-il, ce troupeau, et ne camperait-il pas plutôt sur le lieu où nous camperions nous-mêmes ?
C’était la grosse question.
Il fut, d’ailleurs, visible qu’avec la tombée de la nuit, les éléphants manifestaient quelque appréhension, dont nous n’avions observé aucun symptôme pendant le jour. Une sorte de mugissement, puissant mais sourd, s’échappa de leurs vastes poumons. À ce brouhaha inquiétant succéda un autre bruit d’une nature particulière.
« Quel est donc ce bruit ? demanda le colonel Munro.
— C’est le son que produisent ces animaux, répondit Kâlagani, lorsque quelque ennemi se trouve en leur présence !
— Et c’est nous, ce ne peut être que nous qu’ils considèrent comme tels ? demanda Banks.
— Je le crains ! » répondit l’Indou.
Ce bruit ressemblait alors à un tonnerre lointain. Il rappelait celui que l’on produit dans les coulisses d’un théâtre par la vibration d’une tôle sus-