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la maison à vapeur.

Kâlagani quitta la place qu’il occupait dans le rang, et fit quelques pas au devant du groupe.

Un Indou, simplement vêtu, marchait en tête.

Kâlagani s’arrêta devant lui et s’inclina. L’Indou lui tendit une main que Kâlagani baisa respectueusement. Un signe de tête lui témoigna qu’on était content de ses services.

Puis, l’Indou s’avança vers le prisonnier, lentement, mais l’œil en feu, avec tous les symptômes d’une colère à peine contenue. On eût dit d’un fauve marchant sur sa proie.

Le colonel Munro le laissa approcher, sans reculer d’un pas, le regardant avec autant de fixité qu’il était regardé lui-même.

Lorsque l’Indou ne fut plus qu’à cinq pas de lui :

« Ce n’est que Balao Rao, le frère du nabab ! dit le colonel, d’un ton qui indiquait le plus profond mépris.

— Regarde mieux ! répondit l’Indou.

— Nana Sahib ! s’écria le colonel Munro, en reculant, cette fois, malgré lui. Nana Sahib vivant !… »

Oui, le nabab lui-même, l’ancien chef de la révolte des Cipayes, l’implacable ennemi de Munro ! Mais qui avait donc succombé dans la rencontre au pâl de Tandît ? C’était Balao Rao, son frère.

L’extraordinaire ressemblance de ces deux hommes, tous deux grêlés à la face, tous deux amputés du même doigt de la même main, avait trompé les soldats de Lucknow et de Cawnpore. Ceux-ci n’avaient pas hésité à reconnaître le nabab dans celui qui n’était que son frère, et il eût été impossible de ne pas commettre cette méprise. Ainsi, lorsque la communication, faite aux autorités, annonça la mort du nabab, Nana Sahib vivait encore : c’était Balao Rao qui n’était plus.

Cette nouvelle circonstance, Nana Sahib avait eu grand soin de l’exploiter. Une fois de plus, elle lui assurait une sécurité presque absolue. En effet, son frère ne devait pas être recherché par la police anglaise avec le même acharnement que lui, et il ne le fut pas. Non seulement les massacres de Cawnpore ne lui étaient point imputés, mais il n’avait pas sur les Indous du centre l’influence pernicieuse que possédait le nabab.

Nana Sahib, se voyant traqué de si près, avait donc résolu de faire le mort jusqu’au moment où il pourrait définitivement agir, et, renonçant tem-