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face à face

porairement à ses projets insurrectionnels, il s’était donné tout entier à sa vengeance. Jamais, d’ailleurs, les circonstances n’avaient été plus favorables. Le colonel Munro, toujours surveillé par ses agents, venait de quitter Calcutta pour un voyage qui devait le conduire à Bombay. Ne serait-il pas possible de l’amener dans la région des Vindhyas, à travers les provinces du Bundelkund ? Nana Sahib le pensa, et ce fut dans ce but qu’il lui dépêcha l’intelligent Kâlagani.

Le nabab quitta alors le pâl de Tandît, qui ne lui offrait plus un abri sûr. Il s’enfonça dans la vallée de la Nerbudda, jusqu’aux dernières gorges des Vindhyas. Là s’élevait la forteresse de Ripore, qui lui parut un lieu de refuge où la police ne songerait guère à le relancer, puisqu’elle devait le croire mort.

Nana Sahib s’y installa donc avec les quelques Indous dévoués à sa personne. Il les renforça bientôt d’une bande de Dacoits, dignes de se ranger sous les ordres d’un tel chef, et il attendit.

Mais qu’attendait-il depuis quatre mois ? Que Kâlagani eût rempli sa mission, et lui fit connaître la prochaine arrivée, du colonel Munro dans cette partie des Vindhyas, où il serait sous sa main.

Toutefois, une crainte s’empara de Nana Sahib. Ce fut que la nouvelle de sa mort, répandue dans toute la péninsule, n’arrivât aux oreilles de Kâlagani. Si celui-ci y ajoutait foi, n’abandonnerait-il pas son œuvre de trahison vis-à-vis du colonel Munro ?

De là, l’envoi d’un autre Indou à travers les routes du Bundelkund, ce Nassim qui, mêlé à la caravane des Banjaris, rencontra le train de Steam-House sur la route du Scindia, se mit en communication avec Kâlagani, et l’instruisit du véritable état des choses.

Cela fait, Nassim, sans perdre une heure, revint à la forteresse de Ripore, et il informa Nana Sahib de tout ce qui s’était passé depuis le jour où Kâlagani avait quitté Bhopal. Le colonel Munro et ses compagnons s’avançaient à petites journées vers les Vindhyas, Kâlagani les guidait, et c’était aux environs du lac Puturia qu’il fallait les attendre.

Tout avait donc réussi aux souhaits du nabab. Sa vengeance ne pouvait plus lui échapper.

Et, en effet, ce soir-là, le colonel Munro était seul, désarmé, en sa présence, à sa merci.

Après les premiers mots échangés, ces deux hommes se regardèrent un instant sans prononcer une seule parole.