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Page:Verne - La Maison à vapeur, Hetzel, 1902.djvu/393

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à la bouche d’un canon

« Laurence ! » cria-t-il une dernière fois, comme s’il lui eût jeté un suprême adieu.

Mais non ! Lady Munro ne songeait pas à quitter le plateau de Ripore, et la situation, quelque épouvantable qu’elle fût déjà, allait encore s’aggraver.

En effet, lady Munro s’arrêta. Évidemment, ce canon avait attiré son attention. Peut-être s’éveillait-il en elle quelque souvenir obscurci du siège de Cawnpore ! Elle revint donc, à pas lents. Sa main, qui tenait la résine, promenait sa flamme sur le tube de métal, et il suffisait d’une étincelle, enflammant l’amorce, pour que le coup partît !

Munro allait-il donc mourir de cette main ?

Cette idée, il ne put la supporter ! Mieux valait périr sous les yeux de Nana Sahib et des siens !

Munro allait appeler, réveiller ses bourreaux !…

Soudain, il sentit de l’intérieur du canon une main presser ses mains, attachées derrière son dos. C’était la pression d’une main amie qui cherchait à dénouer ses liens. Bientôt, le froid d’une lame d’acier, se glissant avec précaution entre les cordes et ses poignets, l’avertit que, dans l’âme même de cette pièce énorme, se tenait, mais par quel miracle ! un libérateur.

Il ne pouvait s’y tromper ! On coupait les cordes qui l’attachaient !…

En une seconde, ce fut fait ! Il put faire un pas en avant. Il était libre !

Si maître de lui qu’il fût, un cri allait le perdre !…

Une main s’allongea hors de la pièce… Munro la saisit, il la tira, et un homme, qui venait de se dégager par un dernier effort de l’orifice du canon, tombait à ses pieds.

C’était Goûmi !

Le fidèle serviteur, après s’être échappé, avait continué à remonter la route de Jubbulpore, au lieu de revenir au lac, vers lequel se dirigeait la troupe de Nassim. Arrivé au chemin de Ripore, il avait dû se cacher une seconde fois. Un groupe d’Indous était là, parlant du colonel Munro que les Dacoits, dirigés par Kâlagani, allaient amener à la forteresse, où Nana Sahib lui réservait la mort par le canon. Sans hésiter, Goûmi s’était glissé dans l’ombre jusqu’au sentier tournant, il avait atteint l’esplanade, en ce moment déserte. Et alors, l’idée héroïque lui était venue de s’introduire dans l’énorme engin, en véritable clown qu’il était, avec la pensée de délivrer son maître, si les circonstances s’y prêtaient, ou, s’il ne pouvait le sauver, de se confondre avec lui dans la même mort !