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Page:Verne - La Maison à vapeur, Hetzel, 1902.djvu/54

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la maison à vapeur.

— C’est toi, Dandou-Pant ? répondit l’Indou, qui éteignit aussitôt sa lanterne.

— Moi, frère !

— Est-ce que ?…

À manger, d’abord, répondit le Nana, nous causerons ensuite. Mais, ni pour parler, ni pour manger, je n’ai besoin d’y voir. Prends ma main et guide-moi. »

L’Indou prit la main du Nana, l’entraîna au fond de l’étroite crypte et l’aida à s’étendre sur un amas d’herbes sèches qu’il venait de quitter. Le sifflement du faquir l’avait interrompu dans son dernier sommeil.

Cet homme, très habitué à se mouvoir dans cet obscur réduit, eut bientôt trouvé quelques provisions, du pain, une sorte de pâté de « mourghis » préparé avec la chair de poulets très communs dans l’Inde, et une gourde contenant une demi-pinte de cette violente liqueur connue sous le nom d’« arak », que produit la distillation du jus de cocotier.

Le Nana mangea et but sans prononcer une parole. Il mourait de faim et de fatigue. Toute sa vie se concentrait alors dans ses yeux, qui brillaient dans l’ombre comme des prunelles de tigre.

L’Indou, sans faire un mouvement, attendait qu’il convînt au nabab de parler.

Cet homme, c’était Balao Rao, le propre frère de Nana Sahib.

Balao Rao, l’aîné de Dandou-Pant, mais d’un an à peine, lui ressemblait physiquement, presque à s’y méprendre. Moralement, c’était Nana Sahib tout entier. Même haine des Anglais, même astuce dans les projets, même cruauté dans l’exécution, même âme en deux corps. Pendant toute l’insurrection, les deux frères ne s’étaient pas quittés. Après la défaite, le même campement de la frontière du Népaul leur avait donné asile. Et maintenant, reliés dans cette unique pensée de reprendre la lutte, ils se retrouvaient tous deux prêts à agir.

Lorsque le Nana, refait par ce repas hâtivement dévoré, eut recouvré ses forces, il resta, pendant quelque temps, la tête appuyée dans ses mains. Balao Rao, pensant qu’il voulait se remettre par quelques heures de sommeil, gardait toujours le silence.

Mais Dandou-Pant, relevant la tête, saisit la main de son frère, et d’une voix sourde :

« J’ai été signalé dans la présidence de Bombay ! dit-il. Ma tête est mise à