Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/108

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Ce qui l’étonnait le plus, c’étaient les sentiments du public sur son passage, sentiments manifestement hostiles, des cris, des menaces, des regards d’indignation et d’horreur.

« C’est lui, vociférait l’un.

— Il en a bien l’air ! hurlait l’autre.

— Quelle mauvaise figure !

— Mais enfin on le tient, et on ne le lâchera pas !…

— Et il n’aura pas volé ce qui l’attend !… »

Des mégères, — il y en a partout, même à Pest — venaient lui fourrer le poing sous le nez.

Comme on l’imagine, l’escorte ne pouvait que s’accroître en chemin. Crescit emdo, aurait pensé Ilia Krusch, s’il eût su le latin, et si son ahurissement n’avait été croissant aussi.

Bref, après avoir traversé plusieurs quartiers populeux, les agents et leur prisonnier arrivèrent devant un édifice qui ressemblait singulièrement à ces maisons spéciales dans lesquelles on entre quand on ne veut pas, et dont on ne sort pas quand on veut.

C’était la prison de la ville. La porte s’ouvrit, le gardien parut, reçut Ilia Krusch comme un hôte dont il attendait l’arrivée, et la porte se referma au milieu des clameurs d’une foule qui comptait bien alors une centaine de personnes.

Quelques instants après, Ilia Krusch se trouvait seul dans une cellule, meublée d’un lit et d’un banc, et les verrous étaient poussés sur lui, sans que ni geôlier ni agents ne lui eussent dit la cause de son arrestation.

Au surplus, tant il était arrivé au dernier degré de l’hébétement, le pauvre homme ne l’avait pas même demandé.

Il n’était cependant pas condamné à mourir ni de faim ni de soif. Il y avait, sur une tablette scellée au mur, un morceau de pain, il le mangea, près du morceau de pain une cruche d’eau, il en but quelques gouttes.

Pendant ce temps, le jour, qui pénétrait par une étroite meurtrière grillée, s’effaçait peu à peu. La nuit ne tarda pas à venir, et la cellule fut plongée dans une complète obscurité.

Ilia Krusch s’étendit alors sur son lit tout habillé, et, s’interrogeant aussi consciencieusement que possible :

« Ah çà ! qu’est-ce que j’ai donc fait ?… » dit-il.

Quelles tristes heures il eut à passer, et combien la nuit lui parut longue ! Mais enfin, il finit par s’endormir, et, comme il ne se sentait pas coupable, il ne fit aucun mauvais rêve. Au contraire. Il rêva d’un brochet

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