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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/15

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Chaque lot fut alors soumis au jury composé du président Miclesco et de quatre membres de la Ligne Danubienne. Ces honnêtes personnages jugèrent avec la plus grande impartialité, et telle qu’elle ne devait amener aucune réclamation, bien que dans ce monde spécial, on ait la tête chaude, lorsque l’amour-propre est en jeu. Quant au résultat du concours, à l’attribution des divers prix, soit au poids soit au nombre, il fut tenu secret par le jury. On ne le connaîtrait qu’à l’heure de la distribution, c’est-à-dire après le repas qui allait réunir tous les concurrents à la même table.

Cette heure était arrivée. Les pêcheurs, sans parler des curieux venus de Sigmaringen, étaient rassemblés devant l’estrade sur laquelle se tenaient le président et les autres membres du jury.

La vérité est que si les sièges, bancs, escabeaux ne faisaient point défaut, les tables ne manquaient pas non plus, ni les brocs de bière, ni les flacons de liqueurs variées, ni les verres grands et petits. Dans les réunions de pêcheurs à la ligne, on ne saurait écouter un discours sans s’asseoir, et s’asseoir sans se désaltérer.

Le président se leva alors, et fut salué par des cris de : Écoutez… écoutez !… aussi nombreux que bruyants.

M. Miclesco, un homme de quarante-cinq ans, dans toute la force de l’âge, offrait le type pur du Hongrois, physionomie sympathique, voix chaude et bien timbrée, gestes élégants et persuasifs. Il faisait vraiment bonne figure, entre ses deux assesseurs, l’un plus vieux, le Serbe Ivetozar, l’autre plus jeune, le Bulgare Titcha. Il parlait, on ne peut mieux, la langue allemande que comprenaient tous les membres de la Ligne Danubienne, et pas une de ses paroles ne serait perdue pour l’assistance.

Après avoir vidé un bock écumeux dont la mousse perla sur la pointe de ses longues moustaches, M. Miclesco s’exprima en ces termes :

« Mes chers collègues, ne vous attendez pas à un discours avec préambule, développement et conclusion bien ordonnés. Non, nous n’en sommes plus à nous griser de harangues officielles, et je viens seulement causer de nos petites affaires en bons camarades, je dirai même en frères, si cette qualification vous paraît justifiée pour une assemblée internationale ! »

Ces deux phrases, longues comme toutes celles qui se débitent généralement au commencement d’un discours, même quand l’orateur se défend de discourir, furent accueillies par d’unanimes applaudissements, auxquels se joignirent de nombreux très bien ! très bien ! mélangés de hochs et même de hoquets.

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