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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/14

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compte. Enfin elle défendait ses privilèges avec cette ténacité, on pourrait dire cet entêtement professionnel, spécial à l’être humain que ses instincts de pêcheur à la ligne rendent digne d’être classé dans une catégorie particulière de l’humanité.

Le concours qui venait d’avoir lieu, ce jour-là, était le premier de cette année 186… Dès cinq heures du matin, les membres de la Ligne, au nombre d’une soixantaine, avaient quitté la ville pour gagner la rive gauche du Danube, un peu en aval.

Le temps était beau, assez chaud même, et il n’y avait pas eu à se prémunir contre la pluie. Les concurrents portaient l’uniforme de la Société, amples vêtements de laine que la toile remplaçait à l’époque des grandes chaleurs, la blouse courte laissant les mouvements faciles, le pantalon engagé dans les bottes à forte semelle, la casquette blanche à large visière, au besoin protégée par un (…)[1] de même couleur. Ils étaient munis des divers engins, tels qu’ils sont énumérés dans le Manuel du pêcheur, cannes, gaules, épuisettes, lignes empaquetées dans leur enveloppe de peau de daim, empile, boîte de flotteurs, sondes, grains de plomb fendu de toutes tailles pour les plombées, réserve de mouches artificielles, de cordonnet de crin de Florence. La pêche devait être libre, en ce sens que les poissons, quels qu’ils fussent, seraient de bonne prise, et chaque pêcheur pouvait amorcer sa place comme il l’entendrait, suivant l’espèce, ablettes, anguilles, barbeaux, brèmes, carpes de rivière, chevesnes, épinoches, gardons, goujons, hottus, ombres, perches, tanches, plies, truites, vérons, brochets, et autres qui vivent dans les eaux du Danube.

À six heures sonnant, exactement quatre-vingt dix-sept concurrents étaient à leur poste, la ligne flottante en main, prêts à lancer l’hameçon.

Un coup de clairon donna le signal, et les quatre-vingt dix-sept lignes s’étaient tendues au-dessus du courant le long de la rive.

Plusieurs prix de divers sortes étaient affectés à ce concours, mais les deux premiers d’une valeur de deux cents florins seraient accordés 1o au pêcheur qui aurait le plus grand nombre de poissons, 2o au pêcheur qui aurait un poisson d’un poids supérieur au poids des autres.

Le concours s’effectua dans des conditions parfaites. Il y eut bien quelques contestations pour des places trop sévèrement mesurées, des lignes embrouillées. Petits incidents habituels qui nécessitèrent l’intervention des commissaires, mais rien de grave ne se produisit jusqu’au second coup de clairon qui, à onze heurs moins cinq, mit fin à ce concours.

  1. En blanc dans le manuscrit, remplacé par le signe (…)
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