Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/150

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« Il est perdu !… il est perdu ! »

Ce n’était que trop probable.

« Et comment aurait-on pu le sauver ? dit Ilia Krusch.

— Et le courant a dû rapidement l’entraîner au large, ajouta M. Jaeger.

— Oui, répondit Ilia Krusch, à partir de cette pointe, il porte vers la rive gauche. »

Du reste, il parut que c’était fini et bien fini, car le canot, après avoir non sans peine accosté, venait d’être rehissé à bord. Puis les fanaux s’éteignirent, et tout retomba sinon dans le silence, du moins dans l’obscurité.

Ilia Krusch et son compagnon durent rentrer sous le tôt, et c’est en vain qu’ils y cherchèrent quelques heures de sommeil.

Du reste, à peine les premières lueurs de l’aube avaient-elles paru, la tourmente ayant sensiblement diminué, qu’Ilia Krusch s’entendit appeler du dehors.

Il sortit, suivi de M. Jaeger.

Une embarcation, montée par six hommes, était bord à bord avec la barge.

Un de ces hommes, qui semblait commander aux autres, était debout — un homme d’une quarantaine d’années, traits durs, yeux vifs sous des sourcils qui se contractaient sans cesse, figure d’une énergie brutale, voix cassante, stature moyenne, larges épaules, annonçant une remarquable vigueur.

S’adressant à Ilia Krusch, il ne lui dit pas : Êtes-vous Ilia Krusch, il lui dit :

« Vous êtes Ilia Krusch…

— Oui… répondit celui-ci, un peu interloqué et de la demande et du ton dont elle était faite. »

L’autre continua, procédant toujours par affirmation :

« Vous êtes le pêcheur primé à Sigmaringen.

— Oui.

— Vous êtes un ancien pilote du Danube.

— Oui…, mais, à mon tour, je vous demanderai qui vous êtes ? »

Pendant cet échange de paroles, M. Jaeger se tenait sur une extrême réserve, observant cet individu qu’il dévisageait avec un soin tout particulier.

« Je suis le patron du chaland mouillé au-dessous de vous… Il nous est arrivé un malheur cette nuit… notre pilote a été enlevé par un coup

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