Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

démarrèrent la barge, ils la prirent à la remorque, et quelques minutes après, elle accostait le chaland sur le pont duquel elle fut aussitôt hissée.

En vain Ilia Krusch protesta-t-il. Ils étaient une quinzaine d’hommes contre deux. Toute résistance était impossible, et si Ilia Krusch eût refusé de faire office de pilote, on l’aurait envoyé à fond de cale et retenu jusqu’à ce qu’il eût consenti à faire office de pilote.

D’ailleurs, M. Jaeger, qui n’avait opposé aucune résistance, semblait dire à son compagnon, au lieu de s’entêter :

« Mais faites donc ! »

Ilia Krusch dut alors monter sur le pont supérieur, et fut conduit à la barre près de laquelle se tenaient deux mariniers.

Le patron le rejoignit aussitôt, et dit :

« Vous auriez mieux fait d’accepter ma proposition qui était avantageuse… Cela m’a contraint à employer la force… Tant pis pour vous… Et maintenant, marchez droit !… et en bonne direction… et pas d’erreur de route !… Vous m’entendez, sinon…

Le patron n’acheva pas sa phrase, que compléta un geste sur la signification duquel il n’y avait pas à se tromper.

Du reste, Ilia Krusch avait pris son parti, et il ne posa que cette question :

« Quel tirant d’eau ?

— Sept pieds, répondit le patron. »

Un quart d’heure après, l’ancre était remontée à son bossoir, et, son nouveau pilote à la barre, le chaland suivait le courant du fleuve, très rapide alors.

Quant à M. Jaeger, personne ne s’occupait de lui. Il avait toute liberté d’aller et venir. Il demeura donc sur le pont, tantôt observant la rive bulgare dont le chaland ne s’éloignait guère, tantôt assis sur un espar, et s’abandonnant à ses réflexions. Il ne cherchait pas à causer avec son compagnon, bien que cela ne lui fût point interdit.

En effet, aux heures des repas, ils étaient servis ensemble à l’écart, et, la nuit venue, alors que le chaland se rangeait près de la berge, tous deux étaient relégués dans une cabine du logement de l’arrière, dont la porte se renfermait sur eux.

Où étaient les journées si tranquilles, si heureuses, de cet original voyage, alors que la barge s’arrêtait au quai des villes, qu’Ilia Krusch s’abandonnait aux délices de la pêche à la ligne et vendait son poisson sur les lieux de halte !…

153