Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et sa nationalité ?…

— Assurément, il est Hongrois, comme je le suis moi-même. »

Et c’est tout ce que le patron put tirer de son pilote, qui reprit poste à la barre.

Le chaland, son ancre ramenée à bord, se remit en marche, et comme le vent avait halé le nord-ouest, on établit la voile, ce qui ajouta deux ou trois nœuds à la vitesse du courant. Comme la distance qui sépare Galatz de la Mer Noire n’est que de cent-trente kilomètres environ, il ne devait pas employer plus de trois jours pour atteindre la bouche de Kilia.

Tout en remplissant ses fonctions de pilote, quelles affligeantes pensées assaillaient le pauvre Krusch ! Non ! il ne pouvait admettre que la disparition de son compagnon eût été volontaire !… Si M. Jaeger avait formé le projet de s’enfuir coûte que coûte, est-ce qu’il se serait caché de lui ?… Et d’ailleurs, pourquoi l’aurait-il fait ?… Non, hélas ! il avait été victime d’un accident… Pour une raison ou pour une autre, peut-être la chaleur atroce qui régnait dans la cabine l’indisposant, était-il parvenu à en ouvrir la porte, et, au milieu de ces ténèbres, le pied lui aura manqué, et il sera tombé dans le fleuve… Et il a fallu qu’il ait été entraîné bien rapidement pour que ses cris n’aient pas été entendus ! et il n’a pas pu atteindre la berge !…

Moins de deux jours après, sans que la situation n’eût aucunement changé, le chaland, dans l’après-midi du 20 juillet passait en vue d’Ismaïl.

Ismaïl est un port de la Bessarabie moldave sur la rive gauche du fleuve. D’une certaine importance, puisqu’il compte quarante-deux mille âmes. Port marchand, alimenté par les divers produits de la Moldavie ; comme il est sous la domination russe, c’est presqu’un port militaire, et tout au moins il sert de relâche à une partie de la flottille du Danube. C’est en aval que le fleuve se ramifie en bras multiples.

Lorsque le chaland arriva à la hauteur d’Ismaïl, Ilia Krusch eut ordre de ranger la rive droite le plus près possible. Sans doute, le patron ne tenait aucunement à recevoir la visite de la douane, ce qu’il évita en dérivant à bonne distance de la ville. Puis, conformément à ce qui se faisait chaque soir, il alla prendre son mouillage à une lieue en aval.

Pendant la nuit, Ilia Krusch n’aurait pu sortir de sa cabine pour respirer au dehors. Depuis la disparition de M. Jaeger, il se sentait gardé plus sévèrement. Comme on avait besoin de ses services, on ne le laisserait pas s’échapper… Aussi, dans ces conditions, son seul désir était-il d’être arrivé à destination et de débarquer immédiatement.

159