Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/159

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Or, un incident se produisit, qui allait mettre Ilia Krusch au courant de la situation.

Vers une heure du matin, ne dormant pas, il entendit causer près de la porte du logement de l’arrière. C’étaient deux mariniers, probablement préposés à sa garde, et voici ce qu’il surprit de leur entretien :

Or, ces hommes parlaient de la prochaine arrivée du chaland à la Mer Noire, et l’un dit :

« Le steamer sera là à nous attendre…

— Assurément, dit l’autre… il a été prévenu à temps et il ne viendra jamais à la douane l’idée de le chercher devant la bouche de Kilia…

— Bon, reprit le premier, en deux heures nous aurons déchargé nos marchandises. »

Ainsi, un steamer attendait le chaland à l’embouchure du fleuve… Et en deux heures, il aurait embarqué ses marchandises ? Il ne s’agissait donc pas de cette cargaison de bois, de madriers, de planches qui encombrait le pont et la cale et dont le transbordement eût exigé plus de deux jours.

Et alors un nom frappa l’oreille d’Ilia Krusch… un nom prononcé par l’un de ces hommes, le nom du patron de ce chaland… et ce nom, c’était celui de Latzko !…

Quelle révélation dans l’esprit d’Ilia Krusch ! Le patron de ce chaland, c’était le chef des fraudeurs !… et la contrebande devait être cachée dans un double fond… Oui ! nul doute, un double fond dont on ne pouvait soupçonner l’existence !… Et c’était pour cette raison que le chaland tirait plus d’eau que n’en tirent ordinairement les bateaux de même tonnage et de même gabarit !…

Ilia Krusch s’était rejeté sur son cadre. Mais, il n’aurait pu dormir. Il réfléchissait. C’est lui qui conduisait ce chaland à la bouche de Kilia où l’attendraient les complices de ce Latzko ! Que devait-il faire, lui, l’honnête ex-pilote du Danube, et que pouvait-il faire ?… N’était-il pas à la merci de ces hommes, qui, s’il leur refusait ses services, sauraient bien l’y contraindre, fût-ce le pistolet sur la gorge !…

Ilia Krusch ne voulut pas prendre de résolution… Il s’inspirerait des circonstances, et, lorsque le jour revint, sans laisser voir ce qui se passait en lui, sans même jeter un regard plus curieux sur cet audacieux chef de cette association de malfaiteurs, il reprit sa place au gouvernail.

Il n’y eut rien de nouveau pendant cette journée, et, la voile aidant, le parcours se chiffra par une douzaine de lieues.

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