Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/161

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« Allons, murmura Ilia Krusch, il est temps de faire son devoir ! »

Et, il mit un peu la barre à bâbord de manière à gagner obliquement vers le nord-est.

Ni Latzko ni ses compagnons n’auraient pu rien trouver de suspect à cette manœuvre, et, d’ailleurs, ils ne pouvaient que s’en rapporter au pilote qui les avait si habilement dirigés depuis dix jours.

D’ailleurs, le steamer s’avançait vers la passe de Kilia, et avant une demi-heure, ils seraient à bord avec le chaland à l’abri de l’île Leti, dans des eaux calmes, où se ferait le transbordement des marchandises.

Soudain, un formidable raclement se fit entendre. Le chaland en fut ébranlé jusque dans ses fonds. Son mât s’était brisé au ras de l’emplanture, et la voile s’abattit en grand, recouvrant de ses larges plis les mariniers qui se tenaient à l’avant.

Le chaland venait de s’engraver sur un banc sablonneux qui coupait cette partie de la bouche de Kilia, et que connaissait bien Ilia Krusch.

Quels jurons éclatèrent, et avec quelle violence Latzko se précipita vers lui !…

En réalité, cet homme, si simple, si courageux, ne s’était pas mépris sur le sort qui l’attendait : il avait fait le sacrifice de sa vie.

Latzko ne lui demanda pas d’explications, mais, d’un formidable coup, il l’étendit sur le pont.

Il fallait aller au plus pressé : tout n’était pas perdu. Le chaland n’avait fait que s’engraver sur un banc de sable. Ses fonds ne s’étaient point ouverts, il ne faisait pas d’eau, et quand le steamer l’aurait rejoint, la cargaison de contrebande pourrait être retirée intacte et chargée à son bord.

Mais quel fut le désappointement de Latzko et de ses hommes ! Au lieu d’aller à eux pour les tirer de ce mauvais pas, le steamer venait de virer de bord, et gagnait le large à toute vapeur.

Un quart d’heure après, le chaland était envahi par l’équipage d’un aviso de douane que le steamer avait aperçu au moment où il dépassait la pointe de l’île de Leti. Comprenant que la partie était perdue, n’ayant pas même la possibilité de recueillir Latzko et son personnel, il avait fui dans la direction de l’est.

Un de ceux qui était à bord de l’aviso, devançant les autres, se précipita sur le pont du chaland, et tandis que les matelots, au nombre d’une trentaine, s’emparaient de Latzko et de ses compagnons, malgré la vive résistance qu’ils opposèrent, il courait vers l’arrière où Ilia Krusch gisait

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