Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/162

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sans connaissance. Et alors, il le souleva, il dégagea sa tête, et il le fit revenir à lui, et lorsque le pilote ouvrit les yeux :

« Ah ! monsieur Jaeger, s’écria-t-il.

— Non pas Jaeger, mon brave Krusch, mais Karl Dragoch, le chef de police de la Commission internationale ! »

Et c’était lui, en effet. Pour dépister les fraudeurs, et mieux surveiller le fleuve sans exciter les soupçons, il avait eu l’idée d’accompagner Ilia Krusch pendant le cours de sa navigation, et on devine pourquoi il prêtait tant d’attention à tous les bateaux qui descendaient le fleuve. Lorsqu’il allait à terre, des agents ou des lettres le tenaient au courant de ce qui se passait. C’est ainsi qu’il avait été prévenu à Vienne que la bande de Latzko s’occupait d’une expédition à l’entrée des Petites Karpates, et il avait été diriger l’escouade dans cette affaire qui ne tourna pas à son avantage. Puis M. Jaeger, ou plutôt Karl Dragoch, avait rejoint Ilia Krusch pour continuer le voyage. On sait dans quelles conditions ses soupçons se portèrent sur le chaland, soupçons confirmés par les observations d’Ilia Krusch. Et alors, dans la nuit du 17 au 18 juillet, il n’avait pas hésité à se sauver, même sans avertir son compagnon. Ayant pu quitter la cabine, dont la serrure en mauvais état avait cédé, il s’était glissé à l’arrière du chaland, et au risque de se noyer, s’était affalé dans le fleuve. Son audace avait réussi, il avait pu gagner la berge. Reçu dans une des maisons d’un petit village, il fit sécher ses vêtements, et en partit avant l’aube ; puis, le fleuve traversé, en douze heures, il atteignit Kilia. Là, s’étant fait connaître, on mit à sa disposition l’aviso de la douane, qui, par bonne chance, se trouvait dans le port. Mais si le chaland ne s’était pas engravé sur le banc à l’entrée de la passe, peut-être Karl Dragoch fût-il arrivé trop tard pour capturer sa marchandise, et sans doute Latzko et les siens recueillis par le steamer, eussent échappé à la condamnation qui les attendait.

Et alors, Karl Dragoch de raconter à Ilia Krusch tout ce qui s’était passé, en ajoutant :

« Dans tous les cas, que le chaland se soit échoué si à propos, c’est une fameuse chance…

— À laquelle nous avons aidé de notre mieux ! » répondit modestement Ilia Krusch.

Et M. Jaeger-Dragoch, l’embrassant sur les deux joues, de s’écrier :

« Ah ! le brave homme ! le brave homme ! »

Le dénouement de cette histoire se devine : condamnation au bagne de Latzko et de ses complices, confiscation des marchandises, qui furent retirées du double fond du chaland, grand succès pour Karl Dragoch, auquel

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