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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/42

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tente, avec vent du Sud ou de Sud-Ouest. Ilia Krusch, après le coup du matin, reçut le « bon voyage » de deux ou trois braves gens qui s’étaient levés pour assister à son départ ; il démarra et repoussa la barge d’un vigoureux coup de gaffe au milieu d’une légère brume qui glissait à la surface des eaux.

Ainsi que s’était passé cette journée de début, ainsi se passa la deuxième. Il en mit cinq pour descendre cinquante lieues, depuis Donaueschingen jusqu’à Ulm. Il est vrai, tous les jours ne furent pas également marqués d’une croix blanche. Non point qu’un accident fût arrivé à l’embarcation qui portait Ilia Krusch et sa fortune. Mais les circonstances ne furent pas toujours favorables à la pêche, surtout lorsque la pluie vint à tomber en violentes averses, et, dans ce cas, Ilia Krusch, bien enveloppé de sa capote cirée, bien abrité sous son capuchon, ne cherchait qu’à se maintenir au milieu du fleuve, à moins que la violence des bourrasques ne l’obligeât à chercher refuge sous les arbres de la berge.

Ce fut dans l’après-midi du 1er mai qu’il s’arrêta près du quai de la première ville du royaume de Wurtemberg, après Stuttgart, sa capitale.

Il n’était que trois heures, et, comme Ilia Krusch avait vendu en route la pêche de la matinée, il pouvait prendre repos jusqu’au lendemain, sans être obligé à courir la pratique. Et d’ailleurs, cette expression n’est pas juste, puisque la pratique courait plutôt après lui.

Or, il se trouva que l’arrivée du célèbre lauréat n’avait pas été signalée. On ne l’attendait que vers les dernières heures du soir. Il n’y eut donc pas l’empressement habituel, et, très satisfait de son incognito, en somme, il mit à exécution le désir qu’il avait de visiter la ville sans attirer l’attention publique. Ne connaissant pas Ulm, c’était une occasion toute naturelle de satisfaire sa curiosité.

Il n’est pas exact de dire que le quai était désert, à l’heure où la barge vint s’y amarrer.

En effet, depuis plusieurs centaines de pas, tandis qu’elle descendait le long de la rive, un homme la suivait sans la quitter des yeux.

Est-ce donc que cet homme avait reconnu Ilia Krusch dans le pêcheur qui dirigeait l’embarcation ? En tout cas, celui-ci n’y avait pas autrement pris garde.

Cet homme était d’une taille moyenne, plutôt maigre, le corps serré dans son vêtement à la mode hongroise, très propre et bien ajusté, le vêtement d’un amateur plutôt que celui d’un professionnel. Cet homme avait l’œil vif, l’allure décidée, bien qu’il eût certainement dépassé la quarantaine, et il semblait regarder autour de lui, comme s’il craignait d’être suivi ou observé. Il tenait à la main une valise de cuir.

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