Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsqu’Ilia Krusch débarqua, l’inconnu parut éprouver une certaine hésitation. Il semblait réfléchir sur un parti à prendre. Allait-il se mettre en rapport avec le pêcheur, ou rentrer dans la ville pour y signaler son arrivée ?…

Pendant ce temps, Ilia Krusch, qui ne lui prêtait aucune attention, fixait solidement le grappin de son bateau, y rentrait, fermait la porte du tôt, s’assurait que le couvercle des coffres était bien fermé au cadenas, sautait à terre, et, en pleine liberté, très satisfait de ne point figurer au milieu d’un cortège d’admirateurs, il gagnait la première rue qui remontait vers la ville.

Aussitôt, l’homme de le suivre, en se tenant à une vingtaine de pas en arrière.

Ulm est traversée par le Danube, ce qui la rend wurtembergeoise sur la rive gauche, et bavaroise sur la rive droite, en somme bien allemande, et, s’il eût été connaisseur, Ilia Krusch aurait pu constater les différences que cette ville présentait avec les cités de son propre pays.

Peut-être l’homme qui le suivait depuis qu’il avait débarqué dans la partie nord de la ville, eût-il pu lui servir de cicérone ? Mais il ne chercha point à lui adresser la parole et se contenta de ne point le perdre de vue.

Ilia Krusch allait donc le long de vieilles rues bordées de vieilles boutiques à guichets, boutiques dans lesquelles la pratique n’entre guère, et où le marché s’opère sur la devanture vitrée. Et, quand le vent siffle, quel tapage de ferrailles sonores, alors que se balancent au bout de leurs bras les pesantes enseignes, découpées en ours, en cerfs, en croix et en couronnes !

Ilia Krusch, les yeux grands ouverts, la bouche béante, sa figure bonasse toute émerveillée, déambulait au hasard, comptant bien que le hasard, le conduirait aux curieux endroits. Après avoir gagné la vieille enceinte, il parcourut un quartier où bouchers, tripiers et tanneurs ont leurs séchoirs le long d’un ruisseau boueux. Après avoir regardé complaisamment tout l’étalage des viandes, il se laissa tenter par une belle platée de tripes, se promettant de l’accommoder sur le petit fourneau de sa barge. Du reste, comme la plupart des pêcheurs à la ligne, s’il n’était pas autrement amateur de poisson — exception faite pour la carpe et le brochet —, il ne dédaignait pas les côtelettes et les saucisses du charcutier.

Ilia Krusch ne se contenta pas de cette acquisition. Il n’ignorait point que l’ancienne cité impériale était renommée pour ses escargots dont la vente monte chaque année à plusieurs millions. Aussi s’en offrit-il quelques douzaines, qu’il eût assurément payées moins cher et peut-être pas payées du tout, si le marchand eût su à quel illustre client il avait affaire. Mais Ilia Krusch, peu enclin à courir les honneurs, espérait bien quitter Ulm sans qu’un incident eût trahi son incognito.

44