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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/51

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redressée aussi droite qu’avant. Elle se composait d’ailleurs de deux parties, la première forte à la base de quatre centimètres, et diminuant jusqu’à n’avoir plus qu’un centimètre à l’endroit où commençait le scion en bois fin et résistant. Faite d’une gaule de noisetier, elle mesurait près de quatre mètres de longueur, et si l’avisé pêcheur l’avait choisie, c’est qu’il comptait, sans s’éloigner de la rive, s’attaquer aux poissons de fond, tels que la brême, le gardon rouge et autres ; grâce à l’élasticité du scion, il saurait les fatiguer et déjouer tous leurs efforts pour se décrocher de l’hameçon.

Et, alors, montrant à M. Jaeger les hameçons qu’il venait de fixer avec l’empile à l’extrémité du crin de Florence, il dit :

« Vous voyez, monsieur Jaeger, ce sont des hameçons numéro onze, très fins de corps. Je vais les amorcer avec le blé cuit, crevé d’un côté seulement et bien amolli, ce qu’il y a de meilleur pour le gardon…

— Je veux vous croire, monsieur Krusch, répondit M. Jaeger, mais ce qu’il y a de meilleur pour le pêcheur matinal, c’est le coup du matin. Un petit verre d’eau-de-vie me paraît indiqué… »

Et M. Jaeger tira de sa valise une fiole qu’il fit miroiter aux rayons du soleil levant.

« Volontiers, répondit Ilia Krusch, mais parce que nous sommes au matin. Voyez-vous, la sobriété avant tout pour le pêcheur à la ligne ! Jamais de vin blanc, qui l’énerve, le moins possible d’alcool, qui lui enlève la justesse du coup d’œil… C’est encore le café froid qu’on doit prendre de préférence…

— Cependant, vous ne refuserez pas de me rendre raison, monsieur Krusch ?

— À votre santé, monsieur Jaeger ! »

Et deux petits verres remplis d’une excellente eau-de-vie de vin, se choquèrent en signe de bonne amitié.

Il va sans dire que, tandis qu’Ilia Krusch faisait ses préparatifs, la barge descendait tranquillement le fleuve. Elle se maintenait d’elle-même sans qu’il fût nécessaire de la diriger. Du reste, la godille est en place sur son taquet d’arrière, et tout en tenant sa ligne d’une main, le pêcheur peut la manœuvrer de l’autre. Cette fois, Ilia Krusch n’avait pas l’intention de s’écarter de la rive gauche, et comptait en suivre la berge à deux toises tout au plus.

« Voilà qui est fini, dit-il, lorsqu’il eut achevé d’amorcer ses hameçons, et je n’ai plus qu’à tenter la fortune. »

En effet, il était prêt, et s’assit sur le banc, tandis que M. Jaeger s’accoudait contre le tôt, son épuisette à sa portée.

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