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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/54

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portée au devant d’Ilia Krusch, et l’eût accueilli comme il le méritait. Mais, outre que ce brave homme ne recherchait point les acclamations de la foule, son compagnon, bien que la vente dût en pâtir, se tint sur la même réserve, pour une raison ou pour une autre.

La barge avait mis trois jours à franchir les vingt-cinq lieues qui séparent Ulm de Neubourg, et elle ne mit qu’une demi-journée à franchir les vingt kilomètres de Neubourg à Ingolstadt. Elle s’arrêtait au confluent de la Shatter, un des affluents du grand fleuve. Si elle ne continua pas sa route, c’est à cause du mauvais temps, violentes pluies, grandes bourrasques, et une sorte de houle à la surface du Danube.

Les deux compagnons s’estimèrent heureux de trouver abri dans une auberge du quai. Cela n’empêcha point Ilia Krusch d’aller visiter la petite ville. Il proposa même à M. Jaeger de l’accompagner. Mais celui-ci préféra rester à l’auberge, ou s’il en sortit, ce fut uniquement pour se promener sur la rive, toujours attiré par le mouvement de transport qui s’effectuait sur le fleuve.

Il va sans dire que si le déjeuner avait été pris dans l’auberge par M. Jaeger et Ilia Krusch, ils se réunirent à la même table pour le dîner, dont le prix fut réglé par le premier, ce qui lui valut les remerciements du second. La pluie, après s’être un peu calmée l’après-midi, avait repris de plus belle dans la soirée. Aussi M. Jaeger décida-t-il de retenir une chambre pour la nuit à l’auberge. Mais, il fut seul à l’occuper. Malgré ses instances, Ilia Krusch tint à retourner dans son embarcation.

« Sous mon tôt, dit-il, je ne crains ni le vent ni les averses, et je ne veux pas laisser mon bateau seul pendant la nuit.

— Alors, à demain matin, monsieur Krusch, dit M. Jaeger.

— De bonne heure, répondit Ilia Krusch, car nous partirons dès l’aube…

— Si le temps le permet…

— Il le permettra, monsieur Jaeger ! Croyez-en un vieux pratique du fleuve ! »

Et le vieux pratique n’avait point fait erreur. Les rafales continuèrent pendant la moitié de la nuit sous la poussée du vent d’Ouest. Mais il vint à tourner au Nord, et, lorsque les premières lueurs reparurent à l’horizon, le ciel était entièrement dégagé sur la gauche du fleuve.

M. Jaeger arriva de grand matin, au moment où Ilia Krusch faisait la toilette de sa barge et la vidait de l’eau de pluie accumulée dans ses fonds.

« Vous aviez raison, lui dit M. Jaeger, et voici le ciel au beau.

— Et très favorable à la pêche, répondit Ilia Krusch. Ça va mordre ferme ! »

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