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Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/63

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Alors je suis venu vous trouver… Vous savez, nous partirons demain matin de très bonne heure, si vous voulez prendre votre part du souper ?…

— Volontiers, monsieur Krusch, et je vous suis. »

Tous deux descendirent vers la rive gauche pour gagner le point de la berge où avait accosté l’embarcation, et comme ils tournaient l’extrémité du pont, M. Jaeger de dire :

— Et la vente… la vente de notre poisson, monsieur Krusch ?… Êtes-vous satisfait ?…

— Médiocrement, monsieur Jaeger… La marchandise abonde en ce moment, et le marché de Ratisbonne était très approvisionné… Peut-être en tirerons-nous meilleur profit à Passau, à Lintz, à Presbourg…

— Oh ! je ne suis pas inquiet, déclara M. Jaeger… Je vous le répète, je n’y perdrai pas, au contraire… Et le prix que j’ai acheté votre pêche sera doublé avant notre arrivée à l’embouchure du fleuve ! »

Un quart d’heure plus tard, M. Jaeger et Ilia Krusch soupaient tranquillement à l’arrière de la barge. Puis, ce repas terminé, ils s’étendirent dans le tôt l’un près de l’autre. Abrités sous la première arche du pont, ils n’avaient rien à craindre si le temps se mettait à la pluie, et, de fait, ils n’entendirent même pas qu’elle tomba en grosses gouttes pendant une partie de la nuit.

À cinq heures et demie du matin, l’embarcation était déjà à trois quarts de lieues de Ratisbonne, en longeant la rive droite où l’action du courant se faisait plus rapidement sentir. La ligne rapporta des gardons blancs et des gardons rouges, ces derniers n’ayant pas encore regagné les fonds caillouteux ou herbeux où se rencontrent les eaux plus fraîches qu’ils recherchent de préférence.

Du reste, Ilia Krusch s’était outillé en vue de cette pêche, et le voici, disant à son compagnon :

« Voyez-vous, monsieur Jaeger, j’ai amorcé mes petits hameçons avec du blé cuit aromatisé d’assa-foetida !… Ils aiment cela, ces poissons… Chacun son goût, n’est-il pas vrai ? L’hiver, j’aurais amorcé avec du pain desséché, trempé de sang frais… Mais nous sommes en mai depuis une semaine et il faut offrir aux gardons ce qu’ils préfèrent… Sans doute, on les prend mieux, lorsque la flotte reste immobile, car ils ont la bouche droite et mordent vite… Néanmoins, j’espère réussir à en pêcher quelques douzaines, qui se vendront bien, je l’espère aussi… Soyez certain que je ne négligerai rien de ce qui peut vous profiter, monsieur Jaeger…

— Je le sais, monsieur Krusch, car vous êtes le plus honnête homme du monde… Mais ne vous tourmentez pas, et laissons aller les choses ! »

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