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Ilia Krusch ne s’était point trop avancé, et pendant cette matinée, son épuisette ramena une quarantaine de gardons qu’il avait ferrés d’un coup vif, et sans y mettre trop de force.

Le produit de la pêche de cette journée fut assez rémunérateur. Et, en vérité, Ilia Krusch s’en montrait tout heureux. Il aurait été très chagriné que M. Jaeger eût fait un marché désavantageux, et d’autant plus que depuis qu’ils vivaient de cette existence commune, avec sa nature bonne et sensible, il ressentait une vive amitié pour son compagnon, et celui-ci n’était pas sans s’en apercevoir.

En aval de Ratisbonne, les rives présentent des aspects très différents. Sur la droite se succèdent de fertiles plaines à perte de vue, une riche et productive campagne, où ne manquent ni les fermes ni les villages. Nombre de bateaux viennent charger de ce côté, et il n’était pas impossible que la contrebande se fit activement par le sud du Danube. Aussi, du moins dans la traversée de la Bavière, cette rive était-elle très surveillée, et les agents de Karl Dragoch, le chef de police, devaient-ils incessamment la parcourir.

Sur la gauche se massent des forêts profondes, s’étageant des collines en direction du Rohmer wald. En passant, M. Jaeger et Ilia Krusch aperçurent au-dessus de la bourgade de Donaustauf le palais d’été des princes de la Tour et Taxis et le vieux château épiscopal de Ratisbonne ; puis, au-delà, sur le Salvatorberg, apparut une sorte de Parthénon, égaré sous le ciel bavarois qui n’est point celui de l’Attique, et dont la construction est due au roi Louis. C’est aussi un Musée où figurent les bustes des héros de la Germanie, mais moins admiré à l’intérieur qu’il ne l’est à l’extérieur pour ses belles dispositions architecturales. S’il ne vaut pas le Parthénon d’Athènes, il l’emporte sur le Parthénon dont les Écossais ont décoré une des collines d’Édimbourg, la Vieille Enfumée.

Le courant entraînait alors la barge du côté de la droite, le long des îles ombragées de beaux arbres. Le fleuve dessinait là des courbes multiples, qui ramenaient longtemps le même point de vue devant les regards. Ilia Krusch eut l’occasion de s’arrêter à Straubing, autant pour vendre sa pêche dans les conditions ordinaires que pour renouveler ses provisions. Après avoir dépassé l’embouchure de l’Isar, un des affluents de la rive gauche, il relâcha pour la nuit devant la bourgade de Deggendorf, où le Danube, alors large de douze cents pieds, est traversé par un pont de vingt-six arches — onze de plus que celui de Rastibonne ; mais il est en bois, il est même démontable, et, chaque année, on l’enlève, car il risquerait d’être emporté par la débâcle à la fin de l’hiver. Puis, on le rétablit, et les nombreux pèlerins qui viennent en procession dans ce pays où l’on conserve pieusement les légendes religieuses, à Ober-Altaich, à la vieille

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