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martin paz.

« Continuez maintenant, dit Samuel au banquier. Vous ruinerez ce señor après son mariage ! »

Le banquier s’inclina avec soumission, car le juif était le fondateur et le propriétaire des jeux de Chorillos. Partout où il y avait un réal à gagner, on rencontrait cet homme.

Samuel suivit le métis, et, le trouvant sur le perron de pierre, il lui dit :

« J’ai les choses les plus graves à vous apprendre. Où pouvons-nous causer en sûreté ?

— Où vous voudrez ! répondit brusquement André Certa.

— Señor, que votre mauvaise humeur ne perde pas votre avenir ! Je ne me fie ni aux chambres les mieux closes, ni aux plaines les plus désertes pour vous livrer mon secret. Si vous me le payez cher, c’est qu’il vaut la peine d’être bien gardé ! »

En parlant ainsi, ces deux hommes étaient arrivés sur la plage, devant les cabanes destinées aux baigneurs. Ils ne se savaient pas vus et écoutés par Martin Paz, qui se glissait comme un serpent dans l’ombre.

« Prenons un canot, dit André Certa, et allons en pleine mer. »

André Certa détacha du rivage une petite embarcation et jeta quelque monnaie à son gardien. Samuel s’embarqua avec lui, et le métis poussa au large.

Mais, en voyant le canot s’éloigner, Martin Paz, caché dans l’anfractuosité d’une roche, s’était déshabillé à la hâte, et, ne gardant qu’un poignard passé à sa ceinture, il nagea vigoureusement vers le canot.

Le soleil venait d’éteindre ses derniers rayons dans les flots du Pacifique, et de silencieuses ténèbres enveloppaient le ciel et la mer.

Martin Paz n’avait seulement pas songé que des requins de la plus dangereuse espèce sillonnaient ces funestes parages. Il s’arrêta non loin de l’embarcation du métis et à portée de la voix.

« Mais quelle preuve de l’identité de la fille apporterai-je au père ? demandait André Certa au juif.

— Vous lui rappellerez les circonstances dans lesquelles il a perdu cette enfant.

— Quelles sont ces circonstances ?

— Les voici. »

Martin Paz, se tenant à peine au-dessus des flots, écoutait, mais sans pouvoir comprendre.

« Le père de Sarah, dit le juif, habitait Concepcion, au Chili. C’était le grand