Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/100

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Puis, il me fit signe de le suivre, et nous revînmes lentement vers la maison.

La colère me suffoquait à ce point que je dus rester dehors. Je m’éloignai même, sans savoir de quel côté je me dirigeais. Ces complications, que nous réservait l’avenir, m’obsédaient le cerveau. Tout ce qui me revient, c’est que j’allai prévenir M. de Lauranay que le duel n’aurait pas lieu.

Il faut croire que je n’avais plus la notion du temps, car il me sembla que je venais de quitter M. Jean, quand, vers dix heures, je me retrouvai devant la maison de Mme Keller.

M. et Mlle de Lauranay se trouvaient là. M. Jean se préparait à les quitter.

Je passe sur la scène qui suivit. Je n’aurais pas la plume qu’il faut pour en retracer les détails. Je me contenterai de dire que Mme Keller tint à se montrer très énergique, ne voulant pas donner à son fils l’exemple de la faiblesse. De son côté, M. Jean fut assez maître de lui pour ne pas s’abandonner en présence de sa mère et de Mlle de Lauranay.

Au moment de se séparer, Mlle Marthe et lui se jetèrent une dernière fois dans les bras de Mme Keller… Puis la porte de la maison se ferma.

M. Jean était parti !… Soldat prussien !… Nous serait-il jamais donné de le revoir !

Le soir même, le régiment de Leib recevait l’ordre de se rendre à Borna, petit village situé à quelques lieues de Belzingen, presque à la frontière du district de Postdam.

Je dirai maintenant que, malgré toutes les raisons que put faire valoir M. de Lauranay, malgré nos plus vives instances, Mme Keller persista dans cette idée de suivre son fils. Le régiment allait à Borna, elle irait à Borna. Là-dessus, M. Jean n’avait rien pu obtenir d’elle.

Quant à nous, notre départ devait s’effectuer le lendemain. À quelle scène déchirante je m’attendais, lorsque ma sœur dirait un dernier adieu à Mme Keller ! Irma aurait voulu rester, accompagner sa maî-