Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/101

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tresse partout où celle-ci voudrait aller… Et moi… je n’aurais pas eu la force de l’emmener malgré elle !… Mme Keller refusa… Ma sœur dut se soumettre.

Dans l’après-midi, nos préparatifs étaient achevés, lorsque tout fut remis en question.

Vers cinq heures, M. de Lauranay reçut la visite de Kalkreuth en personne.

Le directeur de police lui notifia que, ses projets de départ étant connus, il se voyait dans la nécessité de lui donner ordre de les suspendre — quant à présent du moins. Il fallait attendre les mesures qu’il conviendrait au gouvernement de prendre relativement aux Français résidant actuellement en Prusse. Jusque-là, Kalkreuth ne pourrait délivrer de passeports, faute de quoi tout voyage devenait impossible.

Quant au nommé Natalis Delpierre, ce fut bien autre chose ! À moi, touché, comme on dit ! Il paraît que le frère d’Irma avait été dénoncé, sous l’accusation d’espionnage, et Kalkreuth, qui ne demandait pas mieux, d’ailleurs, que de le considérer comme espion, s’apprêtait à le traiter en conséquence. Après tout, peut-être avait-on appris qu’il appartenait au régiment de Royal-Picardie ? Pour le succès des Impériaux, il importait, sans doute, qu’il y eût un soldat de moins dans l’armée française ! En temps de guerre, on ne saurait trop diminuer les forces de l’ennemi !

Aussi, ce jour-là, je me vis appréhendé, malgré les supplications de ma sœur et de Mme Keller, puis emmené d’étape en étape jusqu’à Postdam, et finalement écroué dans la citadelle.

Quelle rage je ressentis, je n’ai pas besoin de le dire ! Séparé de tous ceux que je chérissais ! Ne pouvoir m’échapper pour regagner mon poste, à la frontière, au moment où allaient éclater les premiers coups de feu !…

À quoi bon s’étendre là-dessus. J’observerai simplement qu’on ne m’interrogea même pas, qu’on me mit au secret, que je ne pus communiquer avec personne, que pendant six semaines je n’eus