ce ne sont ni les Pyrénées, ni les Alpes. Cependant le pays est dur aux attelages, et il y avait autant de précautions à prendre pour la voiture que pour les chevaux. Presque pas de chemins tracés à cette époque. C’étaient des défilés, très étroits souvent, qu’il fallait suivre, non sans péril, à travers des gorges boisées ou d’épaisses forêts de chênes, de sapins, de bouleaux et de mélèzes. De là, des lacets fréquents, des sentiers tortueux où la berline ne passait que tout juste entre des croupes à pic et de profonds précipices, au fond desquels grondaient quelques torrents.
De temps à autre, je descendais de mon siège, afin de conduire nos bêtes par la bride. M. de Lauranay, sa demoiselle et ma sœur mettaient pied à terre pour monter les côtes les plus rudes. Tous marchaient courageusement, sans se plaindre, Mlle Marthe malgré sa constitution délicate, M. de Lauranay malgré son âge. D’ailleurs, il fallait souvent faire halte afin de laisser souffler. Combien je m’applaudissais de n’avoir rien dit de ce qui concernait M. Jean ! Si ma sœur désespérait en dépit de mes raisonnements, qu’eut été le désespoir de Mlle Marthe et de son grand-père !…
Pendant cette journée du 21 août, nous ne fîmes pas cinq lieues, en droite ligne s’entend, — car le chemin s’allongeait de mille détours, et tels qu’il nous semblait, parfois, que nous revenions sur nos pas.
Peut-être un guide eût-il été nécessaire ? Mais à qui aurait-on pu se fier ? Des Français à la merci d’un Allemand, lorsque la guerre était déclarée !… Non ! mieux valait ne compter que sur soi pour se tirer d’affaire !
D’ailleurs, M. de Lauranay avait si souvent traversé cette Thuringe qu’il s’orientait sans trop d’embarras. Le plus difficile était de se diriger au milieu des forêts. On y parvenait, cependant, en se guidant sur le soleil, qui ne pouvait nous tromper, car, lui, du moins, n’est pas d’origine allemande.
La berline s’arrêta vers huit heures du soir, sur la lisière d’un bois de bouleaux, étagé aux flancs d’une haute croupe de la chaîne des